Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

Dès qu'il s'agit de se définir en tant qu'écrivain, l'auteur d'Un homme louche (sorti en Folio en même temps que son nouveau livre) dit : "auvergnat". Une boutade. François Beaune ne donne pas dans le régionalisme. Il n'est pas chiche non plus. Ni de ses mots ni de ses idées. Il est seulement né en août 1978 à Clermont-Ferrand, c'est factuel. Ensuite, les parents enseignants l'ont traîné au gré de leurs mutations à Dijon et à Lyon où il réside encore. Une fois la réduction identitaire écartée, comment expliquer son passage à l'écriture ? "Certainement pas des études de lettres, j'aimais lire mais la critique, l'analyse des textes très peu pour moi. J'ai fait une licence d'histoire à Bron. A 18 ans, j'ai également monté une revue, La Cocotte, dont le sous-titre était "La Quintessence de toux" (sic), où se mêlaient des dessins d'amis illustrateurs et des articles d'humour. Dans l'esprit des philosophes pragmatiques anglais Bentham ou John Stuart Mill, j'avais imaginé le "Pl.", une unité scientifique de quantification du plaisir. Ce trimestriel se voulait une manière bizarre de voir le monde d'aujourd'hui." Et à 20 ans, déjà, les prémices d'histoires qui deviendraient Un homme louche, son premier roman, paru chez Verticales il y a deux ans, et Un ange noir, son second, avec lequel il signe son retour. "A l'origine, j'ai eu l'idée de faire un livre sur un pragmatique exclusivement tourné sur l'extérieur, un voyeur qui "louche" sur les choses (c'est Jean-Daniel Dugommier le héros de mon premier roman) et un autre livre sur un idéaliste qui réécrit le monde à travers le filtre pervers de sa propre réalité (c'est Alexandre Petit, le narrateur d'Un ange noir)."

"LYON - FAITS DIVERS. Une jeune femme morte dans sa baignoire." Ainsi s'ouvrent les premières pages du dernier roman de François Beaune. L'article du Progrès détaille la macabre découverte. Suit la narration d'un homme entre deux âges, sondeur à la Sofres. Alexandre est l'archétype du vieux garçon qui vit encore chez maman, et hormis son boulot cafardeux et des actions caritatives genre Restos du coeur, il a une vie sociale proche de zéro. Au travail, il s'est lié d'amitié avec la "pure" Elsa. Après sa mort, il disparaît. Et demeure en fuite alors même que la police a cessé de le soupçonner et l'a exhorté par voie de presse à retourner chez sa mère. Le protagoniste d'Un ange noir pourrait avoir quelque chose du Meursault de L'étranger de Camus. Mais Alexandre Petit est moins un homme sans Dieu aliéné en société qu'un ordinaire réac' en chandail qui projette sur le monde tel qu'il est sa grille de lecture raciste, misogyne, misanthrope.

Narrateur psychopathe

S'il a une tête plutôt bien faite, François Beaune n'intellectualise pas. Un ange noir n'est pas un roman à thèse. Citant ses auteurs de polars de prédilection, James Ellroy, David Goodis et Simenon, le livre est aussi une manière de traiter le genre noir et d'écrire sur un personnage qui enquête sur soi-même. Et avant tout un formidable travail sur le langage ; la voix d'Alexandre Petit commence, monocorde, sur un ton de confession marmonnée : une langue méticuleusement descriptive, qui évolue crescendo vers des accents de métaphysique tout à fait délirante. Certains commentaires auguraient d'un équilibre mental précaire : "La bataille est millénaire entre le bassin des femmes et la tête des hommes. Il fallait transformer l'étroit pelvis pour laisser place à l'intelligence. La femme est un animal médiocre, que la bipédie n'a pas arrangé." Plus loin : "Les femmes infanticides, chacun s'écrie quelle horreur ! Mais moi je les comprends : elles ne sont que des femmes qui osent voir les choses en face."

La grande finesse d'Un ange noir gît dans cette façon qu'a François Beaune de faire entendre son narrateur psychopathe gorgé de ressentiment sans rejet immédiat. Le type n'est même pas un "monstre glamour" comme le trader d'American Psycho de Brett Easton Ellis. Et on l'écoute avec attention, sans mépris. "C'était dur de passer tout l'hiver avec Alexandre Petit, avoue l'auteur, mais il n'y a rien de pire que ces écrivains qui méprisent leurs sujets."

Un ange noir, François Beaune, Verticales, ISBN : 978-2-07-013477-9, à paraître le 25 août.

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