Michaël Wiener, jeune Ukrainien de 11 ans, s’appelle dorénavant Janek. Judéité oblige. Avant leur départ en déportation, ses parents l’ont confié au vieux Sergueï devenu aveugle et qui erre maintenant de village en village. Le donnant-donnant paraît équitable : Janek sera les yeux de Sergueï, et Sergueï le protecteur de Janek. En fait, il deviendra son mentor. Au début, l’errance est âpre et l’aumône rare. L’enfant doit lutter contre le mépris haineux des paysans, mais bien plus encore contre la nostalgie qui l’assaille toutes les nuits. Dans ses rêves, il ne cesse de revoir sa vie d’avant, quand ils étaient encore tous là, père, mère, grands-parents. Le vieux Sergueï lui conseille de ne pas avoir peur des rêves, qui sont des alliés. En véritable maître à penser de Janek, il l’initie à la sagesse et lui redonne courage, moral et espoir. Ses leçons sont fortes et salutaires. Ancien soldat d’élite, il préconise un entraînement physique quotidien. "Tu seras surpris de constater que les pensées tristes disparaîtront dans la foulée comme si elles n’avaient jamais existé. […] L’âme est fine et douce, seul un corps fort peut l’envelopper pour la protéger." Il prêche aussi l’acceptation des épreuves avec sérénité. Chaque jour il faut se choisir une vision et la conserver en soi toute la vie. "Si tu croises quelqu’un qui prononce une belle phrase, garde-la dans ta mémoire", dit Sergueï. Dans ce beau roman d’apprentissage, le vieil Aharon Appelfeld - qui a eu une enfance similaire à celle de Janek - nous aide à vivre. Que demander de plus à la littérature ?
Fabienne Jacob