2 juin > Récit de voyage France

Dès le départ, ça commence mal. Claire Fourier, en guise de prix pour l’un de ses livres, a gagné une croisière de luxe, sur un fort beau navire et non point l’un de ces monstrueux HLM aquatiques qui défigurent Venise. Entre autres. Huit jours de farniente et de visites en Adriatique, de quoi réjouir tout écrivain. Pas elle, qui se définit comme "une atrabilaire", une râleuse qui traîne sa mélancolie comme un boulet. Au passage, on décernera à son mari, le très discret Pierre, qui la supporte et la remet à sa place lorsqu’elle pousse le bouchon un peu loin, le prix de camaraderie.

Notre amie est bretonne. Une "femme du Nord" qui déteste le soleil, et la mer "plate et bleue", sans parler des hordes de touristes - ce qu’on peut comprendre. On se demande donc ce qu’elle est venue faire dans cette galère, alors que, mystique ("Je suis la glaneuse de Dieu", dit-elle à un moment), elle rêve de refaire une retraite dans une abbaye, comme cette chartreuse où elle s’est visiblement épanouie. La frugalité plutôt que le luxe, pourquoi pas ? D’ailleurs, à chaque étape, lorsqu’elle ne reste pas dans sa cabine à lire : Michaux, Un barbare en Asie, Melville (dont elle est "amoureuse dingue"), Moby Dick, ou Thomas Mann, La montagne magique, elle se précipite dans toutes les églises, tous les couvents, tous les cloîtres possibles. Par exemple, à Dubrovnik, l’ancienne Raguse, elle retourne deux fois visiter le cloître franciscain (médiéval) et le cloître dominicain (Renaissance), ainsi que leurs musées, et s’extasie devant chaque Christ crucifié qu’elle découvre, notamment sur la façon dont les différents artistes ont peint le tissu qui lui ceint les reins.

Il y a chez Claire Fourier de la précieuse ridicule, avec des formules à l’emporte-pièce discutables (comparée à Venise, la Croatie est "tragique", "si barbare, si peu sociable"), mais aussi une vraie érudition, notamment sur l’histoire de l’ancienne Dalmatie, qui donna à Rome un empereur, Dioclétien. Grâce à la conférence, un soir, du vieil Anto, on en apprend également beaucoup sur l’histoire tumultueuse du pays, des Romains à nos jours, avec un point de vue tout à fait juste sur le réveil des nationalismes dans les Balkans, à la suite de l’effondrement du communisme. Fort bien écrit, Radieuse est un anti-récit de voyage savoureux, où la narratrice laisse libre cours à son caractère, ses opinions, sa culture. Elle sait aussi s’y moquer d’elle-même. Michaux aurait aimé cette barbare. Jean-Claude Perrier

Claire Fourier, Radieuse.?Une croisière en Adriatique, La Différence. Tirage : 2 000 ex. Prix : 17 euros ; 224 p. ISBN : 978-2-7291-2263-8.
 

 

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