Vous ne pouvez pas imaginer à quel point je me sens dans les années 70 en ce moment. A part peut-être au niveau du look où je me maintiens dans un style parfaitement intemporel, pour ne pas dire confus. Le soir de l’inauguration du salon du livre de Paris, je suis resté dans mon lit, à revoir « La Sirène du Mississippi ». J’ai enfin compris ce film, je veux dire profondément, intensément. Et c’est étrange comme sensation, pour quelqu’un comme moi qui flotte sur les œuvres. J’ai compris Marion, le personnage interprété par Catherine Deneuve. Peut-être que je comprends les Marion, finalement. J’ai compris sa folie. Quelle actrice. Faut-il être amoureuse d’un metteur en scène pour éblouir ainsi ? Après cette soirée, François Truffaut est revenu en moi ; Antoine Doinel, en permanence au-dessus de ma tête dans mes errances, aussi. J’ai surtout repensé à « L’amour en fuite », dernier volet du cycle. Celui où Doinel est écrivain, et publie « Les Salades de l’amour », roman où il passe en revue les histoires d’amour de sa vie. Toute la semaine, j’ai écouté la chanson d’Alain Souchon qui colle parfaitement à la douceur de cette époque, à la façon dont Truffaut filme les femmes, à la nostalgie déjà présente dans le présent : « Toute ma vie, c’est courir après des choses qui sauvent / Des jeunes filles parfumées, des bouquets de pleurs, des roses… / On se quitte, il n’y a rien qu’on explique, c’est l’amour en fuite… » Que j’aime cette chanson, écoutez la avec moi. Alors, me voilà dans les années 70. Bon d’accord, je vous vois venir. Il y a une incohérence notoire : comment puis-je me croire dans les années 70 et rédiger un blog ? Mais je ne suis pas sans ressources : qui vous dit que je ne vais pas envoyer mon texte par pneumatique à Livres Hebdo ? Ah ! Ou alors je vais le dicter à une secrétaire rousse (les années 70, c’est la grande époque des secrétaires rousses qui se font les ongles vers 16h15), en appelant Odéon 32-48. Quelque part, c’est ma petite enfance qui s’y retrouve. Ce temps où je ne m’étais pas encore révélé d’un point de vue capillaire (parenthèse : les années 70, c’est aussi la grande époque du cheveu ; aucune époque n’a été aussi cheveu : un enfer pour les chauves, un paradis pour les moustachus et les rois de la rouflaquette…). Je veux dire, personne ne pouvait prévoir un tel emballement au niveau de la frisette. Ce temps où déjà je dédicaçais à la crèche ma tétine NRF. Et ce temps où Delphine Seyrig était une apparition. En voilà encore une héroïne truffaldienne. On se souvient de Doinel balbutiant devant elle un « Monsieur » sublime… peut-on être davantage troublé par une femme qu’en l’appelant « monsieur » ? Si l’on n’est pas au bois de Boulogne, cela demeure le plus beau des ravissements. J’ai lu, en adéquation avec ma période, le très émouvant roman-essai de François Poirié sur Delphine Seyrig qui vient de paraître chez Actes Sud : « Comme une apparition ». On se souvient d’Antoine Doinel survolté : « Mais cette femme… mais… c’est une apparition ! ». Quelqu’un qui est capable de voir « India Song » dix-huit fois ne peut pas écrire un mauvais livre. Il cite Duras qui disait à propos de Seyrig qu’elle était une inconnue célèbre . Par petites touches, François Poirié saisit le mythe de cette actrice dont nos oreilles ne pourront jamais oublier la voix. Avec en parallèle ses propres blessures, il s’en dégage une forte émotion qui me pousse à une banalité : quelle tristesse de voir tout ce qui s’envole. L’amour en fuite décidément, et je tente de le rattraper aussi : ai-je eu une apparition? *** Les trois vœux de Jean-Baptiste Gendarme : 1) Le potentiel érotique de David Foenkinos. 2) De me donner l'aisance d'écrire des phrases définitives. 3) La possibilité d'annuler mes deux premiers vœux pour en proposer un quatrième.