A l’été 1979, lors d’un entretien avec le critique d’art Michel Sicard, et avant de parler longuement de sa peinture, de son admiration pour Monet, Shirley Goldfarb (1925-1980), qui n’avait plus qu’un an à vivre, dresse le bilan de sa vie à Paris, où, avec son mari Gregory Masurovsky, peintre également, elle s’était installée dès 1954: "Vingt-cinq ans après, on vit comme des étudiants : on n’a pas gagné de sous, on n’a pas tellement réussi : on est un peu connus par quelques collectionneurs, on a du mal à gagner notre vie, mais on aime la France, on aime vivre ici, on est très, très parisiens dans notre façon de vivre…" Shirley, juive de Pennsylvanie qui avait failli devenir rabbin, incarne cette dernière génération de la bohème américaine de Montparnasse, pour qui, même bien après Hemingway et en dépit de la précarité financière, Paris était toujours une fête.
Les Carnets qu’elle a tenus depuis 1971 jusqu’à sa mort, illustrés de dessins, en témoignent, où, tour à tour charmante, snob, horripilante, paranoïaque, impudique, féroce, drôle, elle raconte son quotidien, sa vie de "droguée du bistro", Lipp, Le Flore, etc., ses rencontres (Warhol, Bacon, Hockney avec qui elle fera un temps une espèce de "ménage à trois", Yves Saint Laurent, Lagerfeld, ou encore Michel Butor, l’ami, qui réalisera de nombreux livres avec Gregory Masurovsky), et s’autoanalyse sans cesse. "J’écris uniquement quand je me sens mal." Souvent, donc.
Ce texte est paru une première fois chez Quai Voltaire en 1994. Il avait été adapté au théâtre en 1999 par Caroline Loeb, joué par Judith Magre. Il revit aujourd’hui, et Shirley Goldfarb avec lui. J.-C. P.