3 janvier > Roman Irlande > Kevin Barry

John Lennon aimait revendiquer ses racines paternelles irlandaises. Comme tant d’autres, les Lennon avaient quitté le comté de Down, au milieu du XIXe siècle, pour s’installer à Liverpool. C’est là qu’était né Freddie, le père - défaillant - de John. L’ex-Beatle signa quelques chansons antibritanniques, notamment "Sunday, bloody sunday", sur l’album Sometime in New York City (1972) et prénomma Sean son second fils, celui qu’il eut avec Yoko Ono, en 1975.

C’est donc avec vraisemblance que Kevin Barry, irlandais lui-même, a pu inventer, dans L’œuf de Lennon, un épisode irlandais dans le parcours de l’artiste. Lequel, en mai 1978, se trouve dans une de ces périodes de trouble, de doute, voire de dépression, dont il était coutumier. Problèmes de couple avec Yoko (ça venait de s’arranger), assèchement de l’inspiration (pas une chanson nouvelle depuis quatre ans), lassitude profonde de la vie de dingue qu’il menait depuis 1961, désir de faire un break, de se regarder le nombril, et de crier, surtout. Une thérapie apprise en Californie auprès du psychanalyste Janov, l’inventeur du "Cri primal", dont il fut un temps le patient. Et quel meilleur endroit, pour crier tout son soûl, que Dorinish, une île perdue du comté de Mayo, à l’ouest de l’Irlande ? Huit hectares de solitude, battus des vents et des marées, achetés en 1967, et où il n’aurait jamais vécu. Le voici qui débarque donc à Newport, et convainc un certain Cornelius O’Grady, un type aussi cinglé que lui, de l’accompagner dans son expédition. Car c’en est bien une, de gagner l’île et d’y tenir trois jours, tout seul.

Cornelius se fait le chauffeur, le cicérone et aussi le Sancho Pança de Lennon, sauf que c’est lui qui mène la danse, c’est lui qui connaît le coin, et comment échapper aux paparazzis, venus traquer la star, qu’il déguise en Kenneth. On boit, on chante, au pub de Highwood, à l’hôtel Amethyst (la schnouf en plus) sur l’île d’Achill, avant d’arriver, enfin, à Dorinish.

L’œuf de Lennon, deuxième roman de Kevin Barry, est un livre "étonnant et divers", remake rock’n’roll de l’Ulysse de Joyce, récit polyphonique, fragmenté, virtuose, plein d’humour et de clins d’œil musicaux (Kate Bush, le chien Brian Wilson, etc.), où l’on se trouve vraiment dans l’esprit - tourmenté - du héros. Au passage, coup de chapeau à la traductrice, Carine Chichereau, qui a réussi un vrai tour de force.

J.-C. P.

Les dernières
actualités