Au début, c’est comme un mauvais rêve. Est-elle vraiment réveillée, Clara, en cette fin d’un après-midi d’avant Noël 2010 quand, alors qu’elle s’extrait de son sommeil, lui parvient la rumeur du monde ? La radio en est la messagère. Paul Barthélemy est mort. Assassiné dans son appartement parisien. Cet appartement sous les fenêtres duquel, presque chaque matin, depuis le bus 63 qui la mène à son travail, Clara ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil plus ou moins furtif. Paul… Paul qu’elle a connu et aimé à Strasbourg, près de trente ans auparavant. Paul qu’elle a perdu, retrouvé, puis perdu encore à Paris, Saint-Germain-des-Prés. Paul qu’elle n’a jamais su ou, plus sûrement, voulu garder. Paul qui n’était jamais tout à fait assez libre, ni vraiment à ce qu’il faisait. Une vie est passée entre eux, avec des mariages, des divorces, des voyages, des boulots et des enfants, comme cet adolescent, Hugo, que Clara n’a pas connu et qui, bientôt, va se révéler être le commanditaire de l’assassinat de son père. La boîte de Pandore des souvenirs s’est ouverte et, comme le peignait Goya, "le songe de la raison produit des monstres".
Débarrassons-nous de ce qu’Hitchcock appelait "nos amis les vraisemblants". Bien entendu, JTM, le nouveau roman de Marie Michel (après un déjà très séduisant Monsieur Gagarine, publié sous le nom de Marie-Michèle Martinet, Gallimard, 2011), œuvre au noir et dérive nocturne, "s’inspire" ou plus exactement trouve son énergie romanesque dans l’affaire Bernard Mazières, ce journaliste politique, bien connu de tout le microcosme, sauvagement abattu par un ami de son fils, à l’instigation de ce dernier. Et après ? Après, il y a un truc infiniment fragile et dont Marie Michel se débrouille comme elle peut, c’est-à-dire avec une vraie délicatesse, avec la littérature. Son livre est une ballade jazzy et douloureuse (est-ce un hasard si, de loin en loin, Sinatra y promène le fantôme de sa voix ?), un requiem pour un amour de rien, fracassé faute d’avoir été vraiment dit : celui de Clara et Paul comme celui que les fils vouent en pure perte à leur père. Un beau désastre, en somme. O. M.