Certains rédacteurs de la presse juridique professionnelle devraient s’abstenir de tout effet stylistique. Une gazette pour gens de robe, vendue pourtant fort cher, prend vite des allures de mauvais manuscrit reçu par la poste. Je lis ainsi dans la dernière livraison, en guise d’ouverture : « Le fait justificatif tiré du sujet d’intérêt général continue de creuser son sillon ». La métaphore agricole digérée, je me replonge dans ce mensuel de would-be writers en mal d’éditeurs. L’objet de mon attention ? Une décision rendue par la Cour de cassation, le 12 mai dernier. Les magistrats ont examiné un texte clairement diffamatoire envers l’un de leurs pairs : l’ancien procureur d’Auxerre y était fustigé pour son comportement dans l’affaire des disparues d’Auxerre - tiens, tiens, la campagne auxerroise a t-elle un lien avec le « sillon » ? Les juges qualifient bel et bien de diffamatoires les imputations litigieuses. Mais ils insistent sur le « sujet d’intérêt général ayant eu un retentissement national », et qui donc ne dépasse « pas les limites admissibles de la liberté d’expression dans la critique de l’action d’un magistrat ». Loin de moi l’envie de… critiquer la cour de cassation pour avoir livré une décision de cette importance. Afin de justifier sa position, elle reprend un argument avancé pour la première fois un an plus tôt (le 11 mars 2008), dans un autre de ses arrêts, concernant « l’affaire Executive Life ». A l’époque, ces braves juges avaient relevé « un sujet d‘intérêt général relatif au rachat frauduleux par un organisme bancaire d’une compagnie d’assurance de droit étranger qui avait entraîné la mise à la charge de l’Etat français, et donc du contribuable, des sommes considérables ». Bon, ce coup-ci, ce sont les magistrats qui écrivent à la truelle. Mais l’important est ailleurs. En français, tout cela signifie que la jurisprudence offre une nouvelle stratégie de défense aux éditeurs et auteurs poursuivis en diffamation. Jusqu’ici, dans le but d’échapper à la condamnation, et hormis les arguties procédurales en vrac (prescription, etc.), il n’était possible d’invoquer que la preuve des faits diffamatoires (appelée aussi exception de vérité, ou encore, pour les puristes ayant accompli leurs humanités, nostalgiques du latin de cuisine juridique, exceptio veritatis ). En pratique, la croix et la bannière, sans oublier que le tout doit être livré dix jours au plus tard après le passage de l’huissier porteur de l’annonce d’un procès. Restait, comme autre parade, l’exception de bonne foi ( bonna fides !), qui imposait de réunir quatre critères cumulatifs : absence d’animosité, but légitime, modération du propos, croyance dans ces mêmes propos. Bref, là encore, beaucoup d’énergie à déployer et peu de chances de passer entre les mailles du filet. Eh oui, pour ma part, je file souvent la métaphore halieutique, amorcée avec mon troisième roman, L’Industrie du sexe et du poisson pané (toujours disponible au Dilettante…). Me voici revenu à une de mes obsessions : la littérature érotique. Alors, quittons Emile Louis et sa libido peu sympathique, pour saluer la mémoire de Sarane Alexandrian. L’auteur, notamment, de l’ Histoire de la littérature érotique , est décédé il y a quelques jours, à 82 ans. Sa bible ( sic ) est toujours disponible, en version poche, dans la « petite » Bibliothèque Payot, 10,50 euros). Certes, il n’y traite guère de censure, des éditeurs sous le manteau, de la clandestinité, mais reste inégalé car il parcourt le genre, de l’Antiquité jusqu’aux années septante. C’est donc un ouvrage… d’intérêt général (comme dirait la Cour de cassation), que je conseille chaque année aux étudiants de l’Institut national de Formation de la librairie ; ou j’enseigne le droit d‘auteur… ainsi que la littérature érotique, grâce à la bienveillance et à l’ouverture d’esprit de Claude Naves – par ailleurs, questionneur pertinent de ce blog ! En résumé, et en guise de conseil de blogueur, deux lectures au choix cette semaine : l’arrêt de Cour de cassation (Jurisdata n°2009-048546, pour les accros) et l’indispensable d’Alexandrian, un surréaliste, tardif certes, mais moins pudibond que Breton, qui, en la matière, mérite bien son surnom de pape du surréalisme.