"Parler, c’est trébucher sur les mots…" Mais se taire, c’est se terrer en soi. Encore faut-il quelqu’un pour écouter. Née en 1968, Yu Miri tend un miroir au réel. Ses romans, essais et documents explorent l’identité, l’aliénation et la place des minorités, comme ces Poissons nageant contre les pierres, qu’on a pu découvrir en français (Actes Sud, 2005). L’auteure nage aussi à contre-courant en tendant le micro à des auditeurs radio, une rareté au Japon. Elle aime aller sur le terrain pour absorber la douleur de ses concitoyens. Son nouveau roman s’attache à ceux qui ont tout perdu, que ce soit en raison du tsunami de 2011 ou de la pauvreté. Elle suit la déchéance et l’errance d’un être en souffrance. "SDF : personne qu’on fait semblant de ne pas voir quand on la croise." Comment en arrive-t-on à vivre dans une cabane en carton ? Le héros n’a ni nom, ni identité, juste l’impression d’avoir été effacé et broyé par la vie. "Si je n’existe pas, je ne peux pas non plus disparaître. J’allais vers l’avenir à reculons." S’accrochant aux bribes du passé, cet homme endeuillé a dû quitter les siens pour gagner son pain. Il a "honte d’être un étranger pour eux", mais inutile de s’appesantir sur son sort ou son corps, marqué par le travail sur les chantiers des JO. Il reste exclu des projecteurs ou de la visite de l’empereur, exigeant un "nettoyage" du paysage, à savoir chasser les SDF de leurs logis de fortune. "Le Japon a besoin de rêver." Il va accueillir les prochains Jeux, en 2020, mais tout le monde n’a pas droit à sa part de magie. Cet homme, amoureux des roses, semble si morose à cause des coups bas de la vie. "Je cherche une issue, mais l’obscurité ne vient pas et la lumière ne brille pas non plus…" Sa voix résonne de façon poignante grâce à la puissance d’une écriture tout en dentelle. Chaque parcelle de mot est pesée et soignée pour refléter sa fragilité. Au fil des pages, Yu Miri lui rend son visage et sa dignité. "Je n’ai pas eu le sentiment de vivre, seulement celui d’avoir vécu."K. E.
Toi sans toit
La Japonaise Yu Miri se glisse dans la peau d’un SDF, mirant sa vie et son pays avec acrimonie. Un cerisier littéraire à la lisière de la poésie.