Quel modèle économique pour demain, pour le livre numérique ? Et si la question était mal posée ? En effet, il ne s’agit pas d’inventer un modèle pour le numérique, mais pour l’édition de livres numériques et de livres papier. En d’autres termes, pour avoir assisté à nombre de séances du Conseil du livre, il m’est apparu qu’il n’existe pas de modèle du livre numérique, du moins dans le court/moyen terme, et que la migration vers le numérique ne peut être pensée que comme un segment innovant de l’activité de l’éditeur qui continue de « marcher sur les deux jambes ». Le marché du livre numérique est balbutiant. On souhaite le développer, mais au risque de faire basculer l’ensemble de l’univers du livre dans un monde dont les règles de fonctionnement demeurent à inventer. On se méfie, donc, et à juste titre. D’un côté, se profile un nouveau marché ; et d’un autre côté, on n’aperçoit pas comment une activité économique profitable, hormis sans doute sur des créneaux étroits, pourrait s’y développer. On observe avec méfiance les leçons des autres industries culturelles. La musique enregistrée n’est pas le livre, certes, mais les trois erreurs commises méritent d’être analysées : freins mis au développement d’une offre attractive du point de vue du nombre et de la variété des titres offerts, prix excessifs, absence d’interopérabilité. Il est aisé d’avancer que des réponses sont possibles afin d’éviter ces trois erreurs. Mais l’invention d’un modèle est d’autant plus difficile qu’elle requiert la prise en compte de la transformation des comportements d’achat. Les débats qui accompagnent la discussion de la loi Création et Internet le montrent largement : Internet, ce n’est pas seulement une offre transformée, des œuvres dématérialisées, c’est un autre rapport à l’accès et à la propriété. Or nous ignorons tout - ou presque - de ce nouveau rapport, quand il s’agit du livre. Délinéarisation de la lecture, nouveaux cheminements, promotion des marchés de niche, interactivité : comment tous ces phénomènes, qui reviennent sous la plume des observateurs mais qui demeurent si mal connus, se manifesteront-ils pour le livre ? Certains sites de téléchargement permettent d’imaginer les contours des nouvelles pratiques. Mais tous les acteurs du marché, auteurs (les grands oubliés du Conseil du livre), éditeurs, libraires, bibliothécaires et lecteurs dessineront de concert (mais pas toujours en harmonie) un nouveau paysage dont il n’est pas sûr que des modèles économiques soutenables puissent lui être associés.