Essai

Sophie Makariou, «Le partage d'Orient» (Stock) : L'impossibilité d'une île

Sophie Makariou au musée Guimet, dont elle est la présidente. - Photo Olivier Dion

Sophie Makariou, «Le partage d'Orient» (Stock) : L'impossibilité d'une île

Sophie Makariou, conservatrice qui a introduit les arts de l'Islam au Louvre, raconte son héritage chypriote et son combat contre l'insularité culturelle. Tirage à 3000 exemplaires.

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Par Sean J. Rose,
Créé le 09.04.2021 à 18h32

« Nul homme n'est une île, entière en elle-même ; tout homme est un morceau du continent, une partie de l'ensemble. [...] La mort de tout homme me diminue, parce que je fais partie du genre humain, et en conséquence, n'envoie jamais demander pour qui sonne le glas ; il sonne pour toi. » Cette méditation du poète métaphysique John Donne (1572-1631), la directrice du musée Guimet pourrait la faire sienne. Quoiqu'elle revienne toujours et encore à une île, celle de son côté paternel et des étés émerveillés de l'enfance - Chypre -, Sophie Makariou est le contraire de l'insularité. C'est même la clé de son intérêt pour les cultures d'Islam.

Dans Le partage d'Orient, Sophie Makariou raconte comment, avec d'autres, au Louvre où elle était entrée en tant que conservateur, elle avait dû batailler pour faire ouvrir un département dédié à l'art islamique. Et ce au lendemain des attentats du 11 Septembre... « Islam » n'est pas un gros mot, assénait-elle alors. À bon entendeur, elle le redit. Quand des journalistes la pressaient sur la question du prétendu clash des civilisations et de l'Islam politique, elle répondait très simplement : « L'islamisme, c'est la mort de l'Islam. » L'arabisante aujourd'hui à la tête du musée national des Arts asiatiques a orienté sa boussole encore plus à l'est. Mais l'ailleurs n'est pas tant un lieu qu'une attitude : l'ouverture vers cet horizon qui vous attire et vous fuit à l'infini - à savoir l'altérité, nécessaire et irréductible, sans quoi on ne serait pas grand-chose. Pour l'autrice du Partage d'Orient, l'ailleurs c'est également une part de soi, cet écart hérité de son père chypriote, fils d'un émigré venu travailler en France et retourné au pays. Le père, donc, est architecte et parfaitement francophone - la langue de Molière est un lien ancien dans cette famille orientale urbaine de l'ex-protectorat britannique -, il est marié à une Française, pourtant il assumera jusqu'à sa mort ce statut d'étranger par le teint et les traits de métèque, de « rastaquouère », comme disait l'aïeule maternelle de Sophie Makariou, petite-bourgeoise de Neuilly qui n'avait jamais accepté que sa fille n'eût pas épousé un bon Français de souche.

Pour comprendre son propre goût de l'autre, l'autrice de ces pages rembobine la pelote familiale jusqu'à l'île où elle naquit pour ainsi dire une seconde fois, la vraie - à près de 7 ans en 1973 -, celle qui forge une conscience. « Ni d'ici, ni d'ailleurs » mais à Chypre, à la maison comme nulle part ailleurs. Parce que ce petit territoire ensoleillé est un concentré de cosmopolitisme. Chypre est grecque, byzantine, dominée tour à tour par la famille poitevine des Lusignan, rois de Jérusalem, sous le joug ottoman, peuplée de chrétiens orthodoxes mais aussi catholiques, et bien sûr de musulmans turcs. 20 juillet 1974 : c'est l'invasion par la Turquie, le paroxysme des tensions intercommunautaires, la déchirure. Un jour l'Éden, le lendemain la haine et le sang... Clio, muse de l'Histoire, danse sur le fil. Tout est fragile, réversible. Dans le mauvais sens, comme le bon : personne n'est condamné à haïr. Sophie Makariou le prouve.

Sophie Makariou
Le partage d'Orient
Stock
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 380 p.
ISBN: 9782234091276

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