Sous-titré Journal d'une métameuf, ce livre diablement intelligent tient autant du roman d'aventures que d'une fiction spéculative qui lorgne vers un futur d'une terrifiante cruauté, repris en main par les hommes. Les femmes ont été déchues de la majorité de leurs droits et sont parfois même réduites en esclavage. Toute la puissance de cette histoire tient au fait que la narratrice qui, en 2043, raconte les tristes péripéties qui l'ont conduite à envisager son suicide comme seule issue, n'est autre qu'une machine. Tokiko est en effet la création d'un ingénieur, Malenki, qui se définit comme un « scientifique dada », mais qui est désormais placé en résidence surveillée, accusé d'avoir ruiné ses investisseurs en ayant laissé échapper sa création.

Tokiko est une androïde ultra-sophistiquée qui a une conscience aiguë de ce qu'elle est, une pute de synthèse dans une enveloppe charnelle parfaite, et qui s'approprie des sentiments humains au fur et à mesure que, paradoxalement, elle observe les ravages que ceux-ci causent dans son entourage. C'est en doutant d'elle-même qu'elle acquiert de fait une certaine humanité, tandis qu'elle déroule ce qui va ressembler à une longue confession : « À quoi peut-on s'attendre en lisant les mémoires d'un godemiché ? », se demande-t-elle. N'est-ce vraiment qu'un système de programmation qui a déclenché chez elle l'impression d'avoir été humiliée par le regard et les mains des hommes pervers ?

Malenki l'a lâchée dans la jungle urbaine en prétendant lui offrir la possibilité de s'émanciper et de devenir autonome, et en lui confiant : « Tu es en quelque sorte mon défi au monde. Mon art à la figure des hommes. » Tokiko deviendra une fugitive, dans la même situation que nombre de ses amies humaines. Elle rencontre un reporter-photographe avec qui elle s'installe et pour qui elle sera une très performante putain domestique avant qu'il ne la passe à tabac et qu'elle ne le tue. Elle fuit et se retrouve dans un foyer pour femmes où elle rencontre Rose, une épouse brisée venue d'Oklahoma, que son mari louait à ses amis. Peu à peu, les deux femmes, à nouveau en cavale, se lient d'un amour profond et Rose réapprend l'optimisme grâce à Tokiko. Cette dernière, quant à elle, se fabrique peu à peu un destin, une histoire, et se fixe un but : trouver de l'argent pour délivrer les femmes violentées.

Humaine machine est tout autant un roman émouvant sur l'émancipation qu'une passionnante discussion philosophique, tenue notamment entre Malenki et ses accusateurs, sur les relations entre hommes et femmes, sur le fait qu'une machine puisse ou non faire l'expérience de Dieu, et sur le fait que Tokiko devienne finalement humaine à partir du moment où, en s'inventant une histoire, elle est capable de mensonge, donc de fiction... Une ironie grinçante imprègne ces pages, notamment lorsque l'on comprend que si Malenki a créé une androïde ayant les attributs d'une putain, c'est simplement que ses investisseurs ne l'auraient jamais soutenu s'il avait désiré créer une femme androïde totalement libre.