Avant-Critique Roman

Roy Jacobsen, "Les vainqueurs" (Gallimard) : De mère en fils

Roy Jacobsen - Photo © Francesca Mantovani/Gallimard

Roy Jacobsen, "Les vainqueurs" (Gallimard) : De mère en fils

Excellant à dépeindre les destins hors norme des gens ordinaires, Roy Jacobsen livrait en 1991 une fresque familiale devenue un classique de la littérature norvégienne. Elle est aujourd'hui publiée en France.

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Par Laëtitia Favro
Créé le 25.08.2022 à 09h00 ,
Mis à jour le 25.08.2022 à 12h04

Alors qu'il aura fallu attendre le succès des Invisibles (Gallimard, 2017) pour que Roy Jacobsen rencontre enfin un lectorat français, la Norvège, son pays d'origine, le distingue dès son premier livre en 1982 et compte Les vainqueurs parmi les incontournables de sa littérature. Roman d'une génération, phénomène d'édition dès sa parution en 1991, cette fresque romanesque suit, à l'instar des Invisibles, l'évolution d'une famille norvégienne sur trois générations, de l'été 1927 au printemps 1990, et met en lumière les profonds changements que connaît le pays, passé d'une économie de pêche et d'agriculture à une société urbaine postindustrielle.

Dans la première partie du livre, le lecteur fait la connaissance de Marta, qui grandit sur l'île d'Herøy aux côtés de son père Johan, avant d'être placée comme domestique à Oslo, dans une famille aisée qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, choisit la collaboration. Le second tableau suit quant à lui Rogern, le fils cadet de Marta, de son enfance dans une banlieue déshéritée d'Oslo dans les années 1960 jusqu'à l'avènement de l'informatique, à une « époque où les gens croyaient que les ordinateurs avaient un cerveau et allaient tout contrôler ». À travers les yeux du « gamin », on assiste aux bouleversements d'une société entraînée vers une mondialisation galopante. Son ton gouailleur dérive progressivement vers la nostalgie, notamment lorsqu'il observe, en fin de roman, les arbres et les immeubles au pied desquels il a grandi, le raccourci qu'empruntait Marta avec ses sacs de courses pour rejoindre son foyer : « là où, au fil des ans, elle est passée dix mille fois avec ses sacs, bien visible, elle en pose un, elle me fait signe pour que je vienne l'aider, elle n'est plus là, et en regardant dehors on ne voit pas qu'elle est passée par là. C'est vide. Pas de trace ni de monuments à Årvoll. »

Grains de sable ballottés par des événements qui les dépassent, les personnages de Roy Jacobsen appartiennent à la classe des héros du quotidien avec lesquels on entre instantanément en empathie - et en sympathie. Méditation poétique sur la fuite du temps, sur les souvenirs accumulés comme autant de cairns jalonnant un chemin de randonnée, Les vainqueurs réveille la part d'enfance qui sommeille en chacun de nous, exprimant avec émotion (et cette pointe d'humour propre au style de l'écrivain) ce moment où l'on se retourne sur son existence, sur cette personne que l'on a été, que l'on a honorée ou trahie, et à laquelle il faut parfois dire adieu pour avancer.

Roy Jacobsen
Les vainqueurs Traduit du norvégien par Alain Gnaedig
Gallimard
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 26 € ; 704 p.
ISBN: 9782072943645

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