La première étude en langue anglaise consacrée à Sartre fut écrite par une femme. Iris Murdoch (1919-1999) travaillait alors à une thèse sur son œuvre à Oxford. L’élève de Wittgenstein n’était pas encore la célèbre romancière qu’elle devint par la suite, et le grand intérêt de son Sartre, rationaliste romantique publié en 1953 est qu’elle aborde la pensée du philosophe à travers ses romans.
Par petites touches, en explorant La nausée mais aussi Les chemins de la liberté, avec de fréquents retours sur L’être et le néant, elle explique que Sartre n’est jamais allé aussi loin sur la vie humaine que dans ses romans. C’est par eux, par le biais de ses personnages, qu’il fait l’expérience mystérieuse du sens de l’existence.
Cela nous vaut un beau portrait de Roquentin en "douteur existentialiste". Une pensée, "c’est le récit d’une histoire que je me fais après coup", dit joliment Iris Murdoch. Voilà pourquoi certains romans pensent et distillent de la philosophie comme un parfum subtil.
L’introduction à la première édition donne le ton : "Jean-Paul Sartre : le comprendre, c’est comprendre quelque chose de notre temps." Pour l’auteure de L’élève du philosophe (Gallimard, 1985), "le romancier est un phénoménologue à sa manière", car il s’interroge sur ce que nous faisons et non sur ce que nous devrions faire.
Dans une longue introduction à la seconde édition anglaise, en 1984, elle complète son descriptif avec les études sur Baudelaire, Genet et Flaubert. Il s’agit presque d’un autre essai, tout en nuances, qui prolonge son écrit de jeunesse et nous éclaire autant sur l’œuvre de Sartre que sur la sienne. Du Séducteur quitté (Gallimard, 1964) au Message à la planète (Gallimard, 1992), elle n’aura cessé de mettre en scène ses propres Roquentin. L. L.