Qui vivra ? Vera. L'air est ce qu'il y a de plus naturel, vivre c'est respirer. Mais pour Vera, l'héroïne de Respirer à fond de Rita Halász, qui valut à la jeune autrice hongroise le prix Margó du premier roman, le souffle ne va pas de soi. Dans sa vie conjugale avec Péter, dont elle a eu deux enfants, elle se sent étouffer. Ce mari, qu'elle avait considéré naguère charmant en dépit ou du fait de son caractère ténébreux, et si touchant par son côté timide voire prude, voilà qu'elle se rend compte à quel point il est abusif, combien elle a été sous son emprise de tyran caractériel et autoritaire. En suffoquant, elle dessille, comme si le réel qui l'étranglait lui eût ouvert les yeux. Une énorme dispute éclate. Elle part du domicile avec ses filles pour vivre chez son père. Reproduit-elle le schéma parental ? Sa mère, qui s'est séparée d'avec son père insupportable et a refait sa vie, est tout de même aujourd'hui en bons termes avec ce dernier et entend épauler sa fille dans ce moment difficile. Aura-t-elle le courage de quitter Péter ? Sa meilleure amie, Andi, l'encourage à s'émanciper. Vivant encore sous le même toit avec Péter, Vera l'avait en fait trompé avec Iván, un amour d'adolescence lui aussi marié avec enfants...
Les dialogues et les scènes, entre présent et souvenir, s'enchevêtrent et se chevauchent. À travers ces pages au phrasé tourbillonnant, au rythme haletant à l'instar du débit de qui chercherait à reprendre son souffle, Rita Halász nous plonge sensoriellement dans les affres de Vera. Le corps de la narratrice cède sous la pression, tantôt noyé dans un désarroi d'angoisse, tantôt emporté par le vertige des sens... Iván ne répondant plus au téléphone, Vera, vexée, décide de contacter un certain Márk, ancien camarade de lycée d'Andi, juste pour le sexe ; Márk couche avec elle en l'initiant au préalable à la cocaïne qu'il lui intime d'inhaler à fond...
Le talent de cette plume prometteuse tient au ton subtil, frisant une sorte d'autodérision névrotique, jamais complaisant, posant de vraies questions sur la libido féminine, sur ce que provoque l'arrivée des enfants dans la vie de couple. Comment assumer son désir de femme sans être mal jugée : « J'avais l'habitude de mettre un astérisque dans mon agenda lorsque nous faisions l'amour. Quand j'avais joui je mettais un point d'exclamation. De plus en plus rarement après avoir accouché. Une mère ne doit pas se comporter comme une pute. Je ne sais pas comment se comporte une pute [...] » Ce roman intime et cru à la fois raconte superbement les tiraillements d'une femme que la culpabilité de mère comme le regard social entravent dans son désir.
Respirer à fond
Christian Bourgois
Traduit du hongrois par Chantal Philippe
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 19 € ; 208 p.
ISBN: 9782267054095