Le National Health Service, abrégé en "NHS", la "Sécu" anglaise, est outre-Manche un trésor national au même titre que Shakespeare, James Bond ou la Reine. L’idée d’un système de santé universel et gratuit fut pensée au seuil de la Seconde Guerre mondiale par l’économiste William Beveridge, l’un des inspirateurs de l’Etat-providence, et mis en place à la fin du conflit par le gouvernement travailliste de Clement Attlee.
Les gouvernements conservateurs - jusqu’à l’actuel dirigé par David Cameron - qui lui ont succédé, et ce malgré des velléités de libéralisation, ont eu et ont encore du mal à y toucher. Aussi n’est-ce pas un hasard si Anthony B. Atkinson a dédié son dernier ouvrage, Inégalités, "aux gens merveilleux qui travaillent au National Health Service".
Le NHS est en effet aux yeux de ce spécialiste mondial (avec Simon Kuznets, le Nobel d’économie américain 1971) de la question de la répartition des revenus et des patrimoines une preuve que certaines décisions politiques peuvent changer le cours de l’économie - en l’espèce : l’accès gratuit aux soins - et réduire les inégalités. Financiarisation (primauté d’une économie spéculative de placements sur l’économie réelle), globalisation (concurrence accrue dans un monde ouvert, une main-d’œuvre à bas coût), révolution Internet et robotisation (économie de la communication, dématérialisation des services), le contexte n’a fait que favoriser le creusement de l’écart entre le 1 % des plus riches et le reste de la population même dans les pays de l’OCDE.
Le tournant marquant s’est produit dans les années 1980, avec des politiques néolibérales (thatchérisme au Royaume-Uni, reaganomics aux Etats-Unis sous l’égide de Milton Friedman) prônant la dérégulation (l’utopie d’un marché totalement libre et capable de s’autoréguler), une baisse drastique de la fiscalité pour les revenus les plus élevés… Cela n’a pas toujours été.
Dans cette analyse exhaustive de la distribution et des raisons des écarts, l’ancien maître de Thomas Piketty, qui reçut son enseignement et préface l’ouvrage, propose des solutions radicales : une progressivité de l’impôt renforcée pour les revenus les plus hauts, une réforme de l’impôt sur la transmission du patrimoine ou encore un système d’héritage pour tous sous la forme de dotation en capital pour toute personne atteignant sa majorité.
Car, répète-t-il : "Je n’accepte pas que la montée de l’inégalité soit une fatalité : elle n’est pas seulement le produit de forces qui nous échappent. Pour réduire son niveau actuel, des mesures peuvent être prises - par les Etats, isolément ou collectivement, par les entreprises, par les syndicats, par les associations de consommateurs et par nous tous, au niveau individuel." Optimiste, le professeur Atkinson. S. J. R.