C’est un de ces petits bijoux littéraires non réductibles à un genre connu, un de ces livres inventifs qui conjuguent deux talents amicaux : un écrivain, Olivier Rolin, disciple du maître Francis Ponge et de son Parti pris des choses, héritier du farfelu Henri Michaux, mais aussi de Philippe Delerm et ses "plaisirs minuscules" - se gober une huître ou un oursin, par exemple, après avoir disserté doctement sur l’objet d’étude -, et un artiste, Erik Desmazières, dessinateur dans la lignée des classiques, avec une prédilection pour les natures mortes, les herbiers ou l’entomologie.
Rolin a donc choisi treize sujets, végétaux (l’artichaut, l’asperge, la girolle, la noix, la patate germée, la pomme de pin), animaux (l’huître, l’oursin, la cétoine, la mouche), et autres (l’os de seiche, la plume, le galet), qu’il explore sous toutes leurs facettes, évoque avec un mélange d’érudition et d’humour volontiers coquin, et une vraie verve poétique. Ainsi, son "Artichaut" est-il "une sorte de pivoine préhistorique", sa "Cétoine" "une Porsche munie de six pattes", sa "Plume" "un couteau à trancher l’air", son "Asperge" "un mince phallus végétal", ou son "Oursin" semblable à sa propre tête, un matin de gueule de bois. A la fin de chaque texte, il est rappelé les figurations dudit objet dans la littérature ou la peinture. Quant aux gravures ou dessins de Desmazières, ils montrent, bien sûr, ils complètent, ils prolongent, séduisent ou inquiètent un peu (sa "Pomme de pin", par exemple, cette "grenade de langues tirées").
Depuis Vigny, on sait que les objets inanimés peuvent avoir une âme, depuis Ponge que l’abricot est un "cul d’ange". Chez Rolin, on apprend qu’en russe lissitchka (petite renarde) est le surnom de la girolle. C’est aussi celui de la femme aimée, à qui ce recueil de gourmandises est dédié. Elle a bien de la chance. J.-C. P.