L'éclat de rire, l'intelligence, le voyage, le monde contemporain ? Grâce au Ravissement de Britney Spears. Qu'un ouvrage ait un tel titre, c'est prendre forcément le risque de la déception, pour les amateurs de Marguerite Duras comme les fans de Britney Spears, et peut-être plus encore les lecteurs de Jean Rolin. Mais non. Il ressemble à ce que l'on connaît déjà de ces trois-là, mais il fait d'un récit faussement anodin la concentration d'une influence littéraire dont le clin d'oeil du titre renvoie à l'étrange “héroïne” qu'est Lol V. Stein, au thème de la disparition, et à une architecture durassienne : l'agent secret vient pour surveiller Britney mais aura une petite fascination pour Lindsay Lohan, et c'est plus tard qu'il fait le récit de ses pérégrinations autour d'elle à Los Angeles à son comparse au Tadjikistan. Ensuite, les péripéties de Britney sont parfaitement romanesques et emblématiques de la fabrication des stars d'aujourd'hui : enfance utilisée, castings, début de carrière selon les bonnes moeurs puritaines et l'allumage éhonté, puis, vautrée dans les coups du sort (deux échecs matrimoniaux, la perte de la garde de ses enfants, la mise sous tutelle, la boule à zéro, etc.) - néanmoins toujours au sommet avec Rihanna et l'autre blonde idiote. D'après Twitter, en ce moment, c'est bien elle qui tient le haut du pavé. D'ailleurs qu'est-ce qu'une star aujourd'hui ? Une dame de la haute société ? Un demi-dieu ? Un héros de série télé, mais réel ? Une figure, un masque mythique ? Une illusion ? Ce qui cache l'art ? L'agent secret à la manque, auteur-narrateur imaginaire, qui ne sait pas conduire et ne prend que les transports en communs, enquête au royaume des apparences. L.A., déjà aperçue maintes fois en romans, films et séries télé, cette capitale-plaque tournante des images trouve ici une réalité prosaïque, simple, belle et affreuse. Le talent de Jean Rolin, léger, alerte, attentif aux détails, se manifeste dans des phrases rythmées, coulées, évidentes dans cette sinuosité qui rappelle celle des échangeurs, autoroutes et autres highways de la ville. Cet écrivain du voyage et des motifs fait varier ce que l'on attend de lui avec une justesse, un regard qui rappellent Nicolas Bouvier. Enfin, il y a dans ce récit ce contraste permanent, l'oscillation avec ce contraire absolu des Etats-Unis qu'est le Tadjikistan. Situé à la frontière de la Chine, cet ancien état de l'URSS permet de parler de la guerre entre Russes et Chinois et, en écho, de l'Afghanistan, et de chiens, encore une fois, de rituels, de montagnes et, comme le réclame Shotemur, le binôme de notre agent, d'histoires que l'on raconte au coin du feu pour rêver et s'endormir. Les montagnes de San Gabriel qui entourent L.A. font écho aux montagnes de l'Hindu Kuch. L'agent, désabusé, nonchalant, suit des jeunes filles, des starlettes de loin en loin, de sites Internet en planques avec des paparazzis, rencontre une prostituée, cite Lowry et rend hommage à Kerouac. Il côtoie les grandes de ce monde mal habillées, mal coiffées, qui mangent des sandwiches, vont au tribunal et s'arrêtent à des stations-service. On roule sur Mulholland, la ville scintille, une brume violette tombe. Tout s'enfuit. ------------ Le ravissement de Britney Spears, Jean Rolin, éditions P.O.L