L'éditeur Pierre Berès, libraire de légende, collectionneur de livres et de manuscrits rares pendant trois quarts de siècle, est mort lundi 28 juillet à l'âge de 95 ans. Il sera inhumé aujourd'hui au cimetière de Passy à Paris (16e).
Après avoir choisi de prendre sa retraite il y a trois ans, à 92 ans, pour partir vivre dans sa maison de St-Tropez, Pierre Berès avait décidé de se séparer d'une grande partie - 12 000 volumes - de son impressionnante bibliothèque de livres anciens.
« le plus grand libraire du monde » ?
De l'oeil, du culot, du charisme, de l'érudition, du raffinement : c'est grâce à ces qualités que Pierre Berès, dont la librairie était située avenue de Friedland, près de l'Arc de Triomphe, est devenu, selon la ministre de la culture, Christine Albanel, qui lui a rendu hommage mercredi 30 juillet « une figure légendaire du monde des arts, de la collection et de l'édition du siècle dernier». Il était surtout un passionné de livres rares, doté d'un appétit de pouvoir et d'une grande curiosité intellectuelle.
Riche et secret, d'une élégance étudiée, Pierre Berès était doté d'une grande culture qui lui permettait d'apprécier en esthète la beauté d'une formule mathématique, d'un raisonnement subtil ou d'une oeuvre d'art. Il aimait se référer au siècle des Lumières et aux Encyclopédistes dont il se sentait proche, mais si certains voyaient plutôt en lui l'incarnation d'un prince florentin. Né en 1913 à Stockholm, il fut pourtant un petit parisien, enfant de la rive gauche, passant ses premières années entre le 136 rue d'Assas et le collège Louis-le-Grand. Tout jeune, il feuilletait les revues d'un bouquiniste de la rue Auguste-Comteavant de collectionner les autographes dès 13 ans, puis de se lancer, à 16 ans, dans le commerce du livre pour diriger, un an plus tard sa première vente comme expert. A 24 ans, il monte sa première librairie.
En 1956, il reprendra, avec l'aide d'André Chastel, les Editions Hermann, pour devenir « l'éditeur des sciences et des arts ». Au fil des ans, sous la marque Hermann, il a bâti un catalogue original et prestigieux où se cotoient traités savants de mathématiques et de physique, essais philosophiques, littéraires et d'esthétique, livres d'art. Arthur Cohen lui succédera en 2006 (voir LH 653).
Une machine à séduire
Mais c'est par sa stature exceptionnelle de libraire d'ancien et de collectionneur qu'il aura marqué les lettres et les arts du XXeme siècle. Dans les années 30, à la suite de la Grande Dépression, il a l'idée de s'intéresser aux bibliothèques américaines vendues par des milliardaires ruinés. 'Pibi', comme on le surnomme en anglais, commence à acheter des documents incroyables, comme des éditions originales de Cervantès, qu'il stocke longtemps (parfois des décennies) dans les coffres aux portes blindées de sa libraire, avant de les ressortir et de les vendre une fortune.
Il possède notamment, parmi ses livres personnels des originaux de Villon, Proust, Colette, Rimbaud ou Flaubert, comme cette édition originale de Madame Bovary, avec mention de l'auteur: « à M. Alexandre Dumas/hommage d'un inconnu ».
Parmi ses trésors achetés et revendus, figurent la collection Pillone (168 livres imprimés du XVe et XVIe siècle venant de Venise, aux tranches ornées par un proche du Titien), des volumes de Stendhal avec corrections de l'auteur, un jeu d'épreuves du Coup de dé de Mallarmé, avec indications manuscrites du poète.
Pour expliquer comment il obtient des livres rares auprès d'héritiers, certains disent qu'il est une véritable « machine à séduire », « auréolé de mystère et de soufre ». Il fouinait partout, évaluait tout ce qui l'entourait, anticipait les coups. Il était prêt à tout pour tout acheter.
2 millions d'euros pour Voyage au bout de la nuit
Son coup de maître demeure la vente, à la Bibliothèque nationale de France, en 2001, du manuscrit de Louis-Ferdinand Céline Voyage au bout de la nuit, au prix record de deux millions d'euros. Le manuscrit avait été vendu par l'écrivain en 1943 à un marchand de tableaux contre 10.000 francs et un 'petit' Renoir.
En 2006, lors d'une immense vente aux enchères à Drouot - 35,3 millions d'euros en six sessions dont 14,2 millions d'euros lors d'une seule vente -, il avait fait don à l'Etat du manuscrit autographe et de l'exemplaire annoté de la main de Stendhal de La Chartreuse de Parme, qui devaient au départ être vendus (voir LH 650).
Ami de Picasso et de Matisse, d'Eluard, de Barthes et d'Aragon, Pierre Berès a aussi été un collectionneur d'art, possédant notamment des oeuvres de Masson ou de Giacometti.
Marié à trois reprises, il était père de huit enfants, dont Pervenche, eurodéputé, et Anémone, ancienne directrice de Larousse.
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