Autant prévenir d’emblée : La nuit mange le jour n’est pas à mettre entre toutes les mains. Le nouvel album scénarisé par Hubert (Le legs de l’alchimiste avec Tanquerelle et Monsieur désire ? avec Virginie Augustin chez Glénat, Miss Pas Touche avec Kerascoët chez Dargaud…) et dessiné par Paul Burckel restitue sans détours le basculement d’une relation amoureuse homosexuelle dans un jeu sado-masochiste de plus en plus dangereux. Rapports sexuels, pressions psychologiques et violences physiques y sont montrés, abondamment, dans toute leur crudité. Mais le procédé permet aux auteurs d’aborder avec brio les enjeux articulés de la création et de la passion, quand elles sont portées à leur paroxysme.
Soit donc Thomas, jeune homosexuel manquant encore de confiance en lui, et Fred, un colosse barbu, un peu plus âgé, artiste photographe. Le premier est séduit par le second. Il admire sa puissance, sa vigueur autant que son loft immense. Il est prêt à se donner, à tout donner pour être aimé de lui surtout lorsqu’il découvre qu’avant lui, Fred a été éperdument amoureux d’Alex, un jeune homme beau comme un dieu, qui a brusquement disparu sans laisser d’adresse. Alex a été l’amant et le modèle de Fred, qui l’a photographié nu, ligoté, torturé, amputé, réduit à son poids de chair offerte, comme à l’étal d’un boucher. Pour conquérir Fred, Thomas ne cessera de se couler dans ce qu’il imagine avoir été le personnage d’Alex, s’abandonnant aux pulsions de Fred et provoquant sa violence, l’incitant à la pousser aux extrêmes, pour le meilleur et pour le pire.
Pris dans leur confrontation perverse, où interviennent aussi quelques amis de Fred, qui ont connu Alex et contribuent à constituer le climat toujours plus oppressant du récit, les deux protagonistes vont peu à peu perdre leurs repères. Ils s’égarent entre passé et présent, fantasmes et réalité. Pulsions créatrices et sexuelles se mêlent, les entraînant inéluctablement vers l’enfer.
Sur un scénario impeccable, avec un découpage parfaitement maîtrisé, Paul Burckel révèle, au dessin, une virtuosité remarquable. Le dessinateur né en 1980, qui s’est surtout illustré jusque-là par des expériences dans la micro-édition, réussit à rendre la multiplicité des sentiments et des pulsions qui traversent les personnages. Il livre simultanément, dans un bel équilibre des gris, du noir et du blanc, des planches superbes. Fabrice Piault