Il n’est de littérature que voyageuse et il n’est de voyages que par le mouvement bien plus que pour sa destination. Olivier Barrot s’est fait depuis longtemps le thuriféraire discret, élégant, de ces lignes de fuite ; gentleman en goguette et tweed sur la ligne d’horizon. Et si trois de ses livres portent le titre Je ne suis pas là (La Table ronde, 2007, 2009 et 2012), c’est parce qu’il ne conçoit pas d’autre usage du monde et de l’écriture que d’aller voir ailleurs s’il y est et, le cas échéant, de s’y attendre, de s’y retrouver. Il y eut l’Angleterre, l’Amérique, toutes sortes de bouts du monde ; voici Mitteleuropa, son pays perdu, son requiem allemand.
En 2012, Olivier Barrot publiait le plus "modianesque" et autobiographique de ses livres, Le fils perdu (Gallimard), recherche du père, de ses vérités successives. Mitteleuropa, récit de voyage donc, ne diffère de cette quête de soi que par l’apparence. En réalité, il la prolonge, la diffracte aux dimensions d’un continent et d’un souvenir. Car cette mosaïque fantasmatique, ce monde englouti et mouvant entre Berlin et Moscou, c’est d’abord pour Barrot le pays de la mère. Pays, entre Mittel-europa et Yiddishland, deux fois évanoui donc. Cela dit, la quête qui pousse dès la fin des années 1960 le très jeune Olivier Barrot à se jouer du rideau de fer est moins identitaire (du moins n’en a-t-il pas conscience) qu’historique et culturelle. Le livre nous promène dans le plus gracieux des "marabout de ficelle", d’un bord à l’autre de ce vieux rêve déchiqueté par deux guerres mondiales. A Vienne, à Prague, à Budapest, dans ce qui fut la Yougoslavie, mais aussi, plus inattendu, en Suisse, au fin fond de l’Australie, Barrot se fait le reporter de ses émotions les plus intimes, l’archiviste de la disparition. Comme souvent chez lui, la balade fait des tours et des détours du côté des écrivains, des musiciens, de la table, des équipes de football. Et, peu à peu, se dessine le palimpseste moins de ce continent effacé que d’un écrivain absolument révélé. O. M.