Le 20 mars, Payot a ouvert à Genève, rive gauche, dans la très commerçante rue de la Confédération, la plus grande librairie de la ville, voire de Suisse romande, à égalité avec celle déjà détenue à Lausanne. Occupant 1 800 m2, le nouveau magasin consacre 1 500 m2 aux livres, 200 m2 à une boutique Nature & Découvertes, marque dont l’enseigne gère les franchises en Suisse, et 50 m2 à un café-boutique, La Semeuse.
Dans le secteur de la librairie francophone, l’initiative fait figure d’événement. "Combien d’indépendants ont ouvert un magasin d’une telle ampleur ces dernières années ?" lance Pascal Vandenberghe, P-DG et actionnaire principal du groupe Payot. Peu en effet. On peut citer, en France, l’ouverture en 2013 d’un magasin Gibert Joseph à Paris (18e), en remplacement toutefois d’un Virgin, ou encore en 2011 celle de Passion Culture à Orléans, et en 2009 de Sauramps Odyssée à Montpellier.
Inventer la librairie de demain
Toutefois, à Genève, Payot n’est pas parti de rien puisque son nouveau magasin résulte de la fusion de deux librairies, désormais fermées, rue du Marché et rue de Chantepoulet, auxquelles s’ajoutent deux autres, reprises en 2014, à savoir l’anglophone Off the shelf et la germanophone Literart.
Selon Pascal Vandenberghe, le nouvel établissement s’inscrit dans le cadre de la réorganisation et du redéploiement de l’enseigne à Genève avec désormais un grand magasin rive gauche et un autre rive droite, ouvert il y a un an sur 300 m2 dans la gare Cornavin. Mais surtout, il permet de développer un nouveau concept en phase avec l’évolution des modes de consommation. "Il s’agit ici d’inventer la librairie de demain en misant sur la qualité de l’expérience client et sur la largeur de l’offre, explique le dirigeant. Ces critères sont devenus essentiels dans le choix des consommateurs de fréquenter un lieu plutôt qu’un autre. Et c’est d’autant plus important qu’en Suisse le prix des livres est élevé et qu’il nous faut donc séduire autrement." En se concentrant sur un seul point de vente spacieux et en évitant d’avoir à doublonner son offre en différents lieux, Payot se donne les moyens d’approfondir son assortiment, avec 100 000 titres différents annoncés. A côté de l’offre francophone, la librairie propose 15 000 titres en anglais et une sélection d’autres en allemand, en russe, en espagnol et en italien.
Accompagnée par le cabinet Architecture & Retail Rites, l’enseigne a aussi souhaité créer un magasin aéré et propice à la flânerie. Ce dernier s’est ainsi doté de coins lecture et l’habillage de ses murs entre les étages a été soigné, avec, dans les deux sous-sols, de grands puits de lumière et des espaces animés par des projections vidéo conçues par des élèves de la Haute école d’art et de design de Genève. Un décor végétal permet également d’atténuer la rigueur architecturale tandis que les couleurs habituelles de Payot, vert et crème, ont été conservées mais adoucies et éclaircies, tout au moins pour le vert.
Quatre niveaux et quinze embauches
Installé dans un immeuble entièrement vitré, avec au premier étage, vu de l’extérieur, un trompe-l’œil représentant des dos de livres rangés comme sur une bibliothèque, le point de vente accueille dès l’entrée un grand escalier permettant d’appréhender la verticalité des lieux répartis sur quatre niveaux, du premier étage au deuxième sous-sol. Tandis que le rez-de-chaussée de 300 m2 est consacré aux best-sellers ainsi qu’à la papeterie, au tourisme et aux loisirs avec une forte thématique helvétique, le premier étage de 700 m2 regroupe la littérature française et étrangère avec le polar et la SF ainsi qu’une boutique anglophone sur 150 m2. L’espace café est aussi installé à ce niveau en face du bureau de retrait des commandes et pourra accueillir les futures dédicaces et animations. En redescendant, le premier sous-sol de 300 m2 est occupé par la boutique Nature & Découvertes et l’univers jeunesse, puis le deuxième sous-sol de 500 m2 rassemble les beaux-arts et les sciences humaines ainsi que les départements universitaires et scientifiques et les livres en VO (hors anglais).
Misant sur la qualité de la relation humaine, le magasin emploie 60 salariés, placés sous la responsabilité de Christophe Jacquier, entré chez Payot il y a douze ans après une expérience chez Decitre. En plus des collaborateurs de ses précédentes librairies, l’enseigne a engagé une quinzaine de personnes supplémentaires. Afin d’accompagner le client jusqu’à l’acte d’achat, des caisses ont également été réinstallées dans certains rayons, en plus de celles situées à l’entrée.
Synergies commerciales
Insistant sur le fait que cette ouverture n’est pas une opportunité mais bien un projet stratégique, Pascal Vandenberghe rappelle que les premières réflexions sur le sujet remontent à 2010. "Tout l’enjeu a été de trouver un local suffisamment grand, bien placé et avec des loyers supportables." Avec 1 800 m2 sur quatre niveaux, dont seulement 300 m2 en rez-de-chaussée, le loyer, qui est défini par étage, s’avère donc, dans sa moyenne globale, en phase avec l’économie du magasin. Hasard de l’histoire, l’enseigne a trouvé ce qu’elle cherchait dans l’immeuble précédemment occupé par UBS, la plus grande banque de gestion de fortune dans le monde. "Les évadés fiscaux ont peut-être été aussi nombreux que les clients qui fréquenteront notre magasin", lance avec amusement Pascal Vandenberghe. Fort de l’expérience menée à Lausanne, où le grand magasin de Pépinet résulte de la fusion en 1996 des deux librairies Payot installées dans la ville, il table sur une croissance de 20 % de l’activité cumulée des établissements qui viennent d’être rapprochés. A une échéance de trois ans, il entend ainsi enregistrer un chiffre d’affaires genevois de 25 millions de francs suisses (23,6 millions d’euros) contre 16 millions (15,1 millions d’euros) en 2014.
A cet ensemble, le nouveau magasin devrait apporter une contribution de 20 millions (19 millions d’euros), profitant notamment des synergies commerciales entre Nature > Découvertes et la librairie. "D’après notre expérience à Fribourg, il y a environ 20 % de tickets mixtes", observe Pascal Vandenberghe. Le bon démarrage de l’activité est d’autant plus important que, selon lui, "l’établissement doit être capable de financer le remboursement du prêt bancaire qui a servi à financer 55 % de l’investissement". Le solde de 45 % de cet investissement, que nous estimons proche de 6 millions de francs suisses (5,6 millions d’euros), a été financé par la cession du pas-de-porte du local situé rue du Marché. Une grande inauguration est prévue le 30 avril à l’occasion du Salon du livre de Genève en présence d’Alexandre Jardin.