Une femme à sa fenêtre. Elle a 50 ans. La belle affaire. Elle s'appelle Zélie et pour fêter ça décide non de renoncer à sa vie, mais au moins de faire un pas de côté. De s'abstraire du tumulte. On peut aussi appeler cela une retraite anticipée. Finis pour elle les cours d'arts plastiques dispensés − sans déplaisir, mais sans vraie vocation non plus − dans un lycée de la proche banlieue parisienne. Presque disparues également les ambitions artistiques qui avaient pu un temps, dans sa jeunesse, faire d'elle une peintre dont on commençait à parler. De toute façon, les aléas de la notoriété n'ont jamais vraiment été son genre de beauté. Nantie d'un ex-mari avec qui elle couche encore parfois, par désœuvrement et gentillesse, d'un fils qui lui est étranger en tout si ce n'est par l'amour qu'elle lui porte, d'une mère dont l'esprit commence à battre la campagne, Zélie s'échappe, Zélie s'absente plus souvent qu'à son tour. Rien ne la retient, ni l'époque, ni la nostalgie poisseuse de celles qui l'ont précédée. Elle se dit que « sans doute, à un moment donné de notre vie, finit-on par ne plus accorder d'importance à des vacances au Portugal, ni à d'interminables débats sur la composition de la liste communiste de la neuvième circonscription du Val-de-Marne. Sans doute finit-on par ne plus se préoccuper que de mode de cuisson des pommes de terre et de fraîchissement du fond de l'air en début de soirée. » Zélie en est là lorsqu'elle rencontre Schock, vingt ans de moins qu'elle, peau noire, peau douce, originaire de République démocratique du Congo, tout de charme, d'insolence lascive et de présence au monde vêtu. Schock semble cultiver une plaisante forme d'indifférence y compris à l'âge de celle qui devient très vite son amante. Cette rencontre, qui est peut-être amoureuse après tout, peut-être aussi autre chose, comme la matérialisation inattendue d'une ligne de fuite, les mènera tous deux à Bukavu, ville natale du jeune homme.
L'histoire de Zélie, cette femme à la fenêtre de sa vie, est celle du nouveau roman de Nicolas Fargues, ironiquement et un peu amèrement intitulé La Péremption. Voilà cinq ans (Attache le cœur, P.O.L, 2018) que l'on demeurait sans nouvelles de Fargues. C'est avec un plaisir intact que ses lecteurs retrouveront ici tout ce qui fait son exemplaire singularité. La distance élégante de son écriture, l'acuité de son regard sur l'époque et ses travers sans verser pour autant dans l'amertume houellebecquienne, son attention portée aux personnages féminins et finalement, dans ce livre peut-être plus que jamais, sa profonde humanité, sa tendresse discrète. Un romancier du réel. Réinventé.