6 mars > Essai France

Lionel Jospin n’aime pas Napoléon, mais il aime encore moins le bonapartisme qu’il rend responsable des multiples fièvres hexagonales depuis le XIXe siècle. Il s’en explique dans Le mal napoléonien, un essai plus qu’un pamphlet. Le ton est mesuré, l’ancien Premier ministre contrôle sa prose et ses idées. Avec lui, pas de danger de dérapage. Il est sur le régulateur de vitesse et négocie les virages avec prudence. "Bien que la nature despotique et prébendière du régime napoléonien ne puisse être occultée, la place de Napoléon ne doit pas, bien sûr, être réduite à cette dimension."

Néanmoins, le droit d’inventaire sur la période et sur son héritage est sans appel. Le premier Empire d’abord. Détestable et détestant le peuple. Le second, médiocre et colonisateur. Viennent ensuite les queues de comètes bonapartistes, rien que des militaires : le général Boulanger, le colonel de La Rocque, le maréchal Pétain. Le seul soldat qui échappe au jeu de massacre, c’est le général de Gaulle, qui considérait que "si Napoléon avait pu seulement prendre un an de repos, tout son destin eût été changé".

En cela, l’ex-premier secrétaire du Parti socialiste montre son désaccord avec le Coup d’Etat permanent de François Mitterrand qui voyait le 2 juin 1958 comme une sorte de 18 brumaire. Lionel Jospin estime au contraire que le bonapartisme, avec sa tentation de l’homme providentiel, a reculé au temps du gaullisme puis regagné un peu de terrain avec Nicolas Sarkozy.

Dans la dernière partie, il décoche ses flèches à ce qu’il considère comme une métamorphose inquiétante du bonapartisme, le populisme, représenté par le Front national mais aussi par Jean-Luc Mélenchon dont "la violence, parfois surprenante, du discours dérange".

En définitive, cette charge contre l’Empereur peut aussi être lue comme un plaidoyer européen. Pour Lionel Jospin, c’est cet esprit bonapartiste qui empêche la construction européenne d’aller plus loin. Il reproche à Napoléon d’avoir chassé les banquiers et les marchands qui feront en Angleterre la révolution industrielle et le libéralisme, au profit des guerriers et des propriétaires fonciers qui ont embourgeoisé la France.

En voulant "finir" la Révolution, Bonaparte a selon lui instauré le conservatisme, un régime prédateur et le rétablissement de l’esclavage. A la faiblesse politique, Lionel Jospin ajoute dans l’acte d’accusation la faiblesse militaire avec l’expédition d’Espagne de 1808 et la campagne de Russie de 1812.

Mais peut-on ne voir dans le premier Empire qu’un échec ? Si Napoléon continue de fasciner, à droite comme à gauche, ce n’est pas pour ce qu’il a raté, mais pour ce qu’il a fait. Ajoutons la dimension shakespearienne de ce destin qui commence à Brienne et finit à Sainte-Hélène. A sa façon, Lionel Jospin nous rappelle qu’en politique la tentation de l’échec est au moins aussi grande que celle de la victoire. Laurent Lemire

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