Gonzo Highway , le choix de lettres de Hunter S. Thompson qui vient d’être réédité en 10/18, est une pure merveille. Une lecture roborative pour tout journaliste digne de ce nom, ou pour toute personne qui s’intéresse au journalisme, jusque dans les excès que l’on y décèle et les poses que prend l’auteur de temps à autre. Mais, comme il n’est pas si fréquent de rire de bon cœur grâce à un livre, de percer par des éclats de voix joyeuses les fines cloisons qui me séparent de mes voisins (eux, c’est plutôt le karaoké quand je les entends), je voudrais attirer l’attention sur quelques moments de cette correspondance, ceux qui m’ont fendu le visage jusqu’aux oreilles. Des épîtres à des hommes politiques, un genre où l’humour n’est pas la règle, sauf ici. Le 3 juin 1964, Hunter S. Thompson écrit à la Maison Blanche , dont le locataire est alors Lyndon Johnson. On ne sait sur quel coup de tête (le commentaire dit qu’il est « ivre et de belle humeur » ), il postule « avec grand plaisir et un sentiment de succès imminent » au poste de gouverneur des Samoa-Américaines. Il a quelques arguments : sa situation est flexible, il est un auteur de fiction de grand talent, son humanité est grande et il possède l’art de saisir les occasions. Il ajoute : « J’ai en outre besoin d’une existence bien réglée, afin d’achever un roman d’une importance déterminante » . Ne croirait-on pas un ancien conseiller réclamant du temps libre pour mener à bien son grand-œuvre ? Lyndon ne répond pas en personne – honte sur lui. Larry O’Brien, en revanche, conseiller spécial du président, signe une lettre (personne n’oserait croire qu’il l’a écrite) qui vaut accusé de réception. À laquelle Hunter (encore sous les effets de l’alcool ?) se presse de réagir : j’achète des costumes de lin blanc, faites vite, j’ai hâte de partir… Comme cela n’a aucun effet sur la nomination tant attendue, et que la politique de Lyndon Johnson au Vietnam n’est pas tout à fait celle que Hunter attendait, il décline, dans une autre missive au président, l’improbable honneur qui aurait pu lui être fait si les choses s’étaient présentées autrement. Et dit, en substance : débrouillez-vous, je ne suis pas prêt à assumer vos conneries ! Il y a mieux, plus tard. En 1976, Hunter S. Thompson annonce qu’il va faire campagne pour devenir, rien de moins, président des Etats-Unis. Jimmy Carter, gouverneur de Géorgie, candidat lui aussi, et qui connaît l’olibrius, lui écrit de Plains : « Quand j’ai entendu dire que vous entriez dans la course, j’ai envisagé de me retirer. » Bien sûr, personne n’y croit. Ni Jimmy. Ni Hunter. Ni moi. Ni vous, je suppose. Mais qu’est-ce que ça fait du bien !
15.10 2013

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