Un homme est mort, c’est Max. Près d’une centrale hydroélectrique, il a été recueilli sur une péniche dont le marinier paraît un moderne Charon. De son côté, Charly a pris place dans un TGV en partance de la gare de Lyon, à Paris. Mais il est mort lui aussi, tout comme les autres passagers dont l’univers bascule soudain dans l’incompréhensible. Tous vont cheminer vers un mystérieux destin, avec pour seul viatique une énigmatique boîte à l’allure d’une boîte à chaussures, qui leur a été remise avec pour unique consigne de ne jamais l’ouvrir : au propre, et sans doute aussi au figuré.
Faute de nouvelles frontières à repousser dans le monde réel, qu’il observe parfois dans des carnets de voyage (Brighton report, D’une île à l’autre), Vincent Vanoli s’intéresse aux frontières de l’âme. Le dessinateur lorrain, qui a fait ressortir l’hiver dernier dans Livres Hebdo, par son travail d’illustration, les dimensions fantastiques de notre « Série noire dans l’édition », poursuit dans Max et Charly son exploration des terres intérieures inconnues. Comme dans ses titres très kafkaïens, La clinique ou L’œil de la nuit, également publiés à L’Association, elles sont peuplées de fantômes et de corbeaux, de fantasmes, d’angoisses et de chausse-trapes dont il disperse les clés au fil des pages.
Indice de la disparition de tout filet de sécurité, Max vient de perdre son emploi dans une entreprise spécialisée dans les portes blindées et les alarmes. Charly est censé travailler dans la fonction publique territoriale. Ils vont être brutalement privés de leurs repères pour se trouver, accrochés à leur boîte, dans un monde étrange qui reflète le nôtre avec plus de dureté encore. Ils sont condamnés à errer, à chercher leur voie et leur destin sans guère de marge de manœuvre entre les prédateurs et les victimes, qui sont souvent les mêmes.
Le récit est mené avec une grande régularité formelle, au rythme simple et systématique de deux grandes cases horizontales par planche. Ce dispositif valorise le sens du dessin, lui permettant de prendre toute sa mesure. Travaillant dans toutes les nuances de gris, Vincent Vanoli a conservé un peu du trait expressionniste qu’il utilise souvent. Mais celui-ci s’épure et s’adoucit au fil de l’histoire, laissant la place à un jeu d’ombres, de taches, de hachures qui figurent un paysage de plus en plus désertique et lunaire. Et plus ses cases s’éclaircissent, se vident d’objets et de présence humaine, plus s’épaissit le mystère des trajectoires de Max et Charly, deux individus ordinaires dont les préoccupations personnelles et intimes se fondent dans une quête commune et universelle de leur sens.
Fabrice Piault