Avant-critique Roman

Michel Jean, "Tiohtià:ke" (Seuil)

Michel Jean - Photo © Julien Faugere

Michel Jean, "Tiohtià:ke" (Seuil)

Publié dans la collection « Voix autochtones » du Seuil, Tiohtià:ke de Michel Jean révèle le quotidien d'un jeune homme rejeté par les siens qui, grâce aux sans-abri, se constitue une nouvelle famille.

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Par Laëtitia Favro
Créé le 18.09.2023 à 09h00 ,
Mis à jour le 18.09.2023 à 23h03

La loi de la rue. Elie est SDF. Banni de sa communauté pour avoir tué son père alcoolique et violent, il a quitté le territoire innu de Nutashkuan pour rejoindre Montréal, après dix ans de prison. Le square Cabot, où se regroupent des sans domicile autochtones, devient son nouveau foyer. Elie y fait la connaissance des sœurs Nappatuk, Mary et Tracy, toutes deux victimes d'inceste ; de Geronimo, qui l'autorise à planter sa tente à côté de la sienne et lui apprend à résister aux nuits glaciales ; de Jimmy le Nakota, qui organise la soupe populaire. À leur contact, il découvre la loi de la rue et son cortège de violences : drogue, alcool, prostitution et ce vent du Grand Nord qui ôte la vie aux plus faibles. Un matin, la mort de Mafia Doc fait la une des journaux. On s'émeut quelques heures du sort des itinérants, puis on les oublie. Comme une feuille qui « a appris à vivre avec les humeurs du vent », Elie s'adapte à son environnement et tente de faire taire « le monstre qui sommeille en lui ». La présence de Lisbeth, la fille de Mary, placée à l'adoption mais n'ayant pas rompu le lien avec sa mère, l'aide à reprendre confiance en lui, à envisager un autre horizon que celui de la rue. À 30 ans passés, Elie reprend des études, se rêve en avocat prenant la défense des oubliés, comme Kalina, une Inuk du Grand Nord qui, envoyée à Montréal pour y être soignée, n'a pu rassembler l'argent nécessaire pour rentrer chez elle et a sombré dans le crack. Mais « qui voudrait d'un avocat avec un monstre caché dans le cœur ? » s'interroge Elie qui ne parvient pas à se défaire de l'odeur métallique du sang et du souvenir du jour où il a tué son propre père.

À Montréal- Tiohtià:ke en mohawk-, les populations autochtones (Cris, Atikamekws, Anichinabés, Innus, Inuits, Micmacs et Mohawks) représentent 1% de la population mais 10% des SDF. Écrivain et journaliste, membre de la communauté innue, Michel Jean leur donne une voix à travers ses romans, redessine leurs chemins présents avant l'arrivée des Européens. Sans pathos, dans une galerie de portraits expressifs, il décrit la vie des itinérants en milieu urbain, et la rend familière à un lecteur qui, dans son quotidien parallèle, préfère bien souvent détourner le regard. Un roman d'apprentissage engagé, poétique et nécessaire, dont le style minimaliste donne corps aux invisibles, et leur rend justice.

Michel Jean
Tiohtià:ke
Seuil
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 20 € ; 224 p.
ISBN: 9782021538878

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