Avant-critique Roman

Mia Couto, "Le cartographe des absences" (Métailié) : Passeur de mémoire

Mia Couto - Photo © Philippe Matsas 2011

Mia Couto, "Le cartographe des absences" (Métailié) : Passeur de mémoire

Le grand écrivain mozambicain Mia Couto fait dialoguer l'histoire de son pays avec celle de personnages inoubliables, pris dans le chaos des guerres d'indépendance.

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Par Laëtitia Favro
Créé le 01.09.2022 à 09h00 ,
Mis à jour le 01.09.2022 à 12h55

En 2019, Beira entrait dans l'histoire « comme la première ville complètement détruite par les changements climatiques ». C'est dans cette ville portuaire du Mozambique que Mia Couto voit le jour en 1955, là également qu'il situe l'intrigue du Cartographe des absences, son roman le plus personnel, qui débute quelques jours avant le passage du cyclone Idai.

Invité par l'université de Beira, le poète Diogo Santiago renoue avec les ruelles où il a grandi, confronté aux fantômes que ses souvenirs ravivent, comme celui de son père, lui-même poète, engagé dans la lutte contre la colonisation portugaise, ou de Sandro, le frère caché que Diogo tente de retrouver. Aux côtés de Benedito, le petit domestique devenu homme politique, il se souvient du cyclone Claude, qui avait « balayé » leur jeunesse. Sur les rives du fleuve Pungue, il se remémore les « deux jeunes amoureux » qui s'y étaient jetés, « les poignets attachés par du fil de fer », parce qu'« ils n'avaient pas le droit de s'aimer », étant de « races différentes », « tels des Roméo et Juliette des tropiques africains ». « C'est ici que mon enfance s'est déchirée », confie Diogo à Liana, la jeune femme en charge de sa venue, dont l'histoire familiale se révélera intimement liée à celle de son hôte. « Je viens réparer cette déchirure. »

Empreint d'une poésie en laquelle Mia Couto voit « une façon de regarder le monde et de comprendre ce qui habite une dimension invisible de ce qu'on nomme la réalité », Le cartographe des absences revisite des pages sombres de l'histoire mozambicaine, d'une époque coloniale où les uns « prenaient le thé, dansaient et oubliaient l'Afrique » quand d'autres étaient traqués par la PIDE, la police secrète de Salazar. Avec en toile de fond la guerre d'indépendance opposant le Front de Libération du Mozambique (le FRELIMO) au régime portugais, l'écrivain raconte la trajectoire de deux familles voisines, l'une ralliée aux indépendantistes, l'autre criant « Vive Salazar ! Vive la PIDE ! » à ses fenêtres. Des divergences que le temps apaise mais n'efface jamais tout à fait.

Situant son récit entre 2019 et l'année 1973, dont les événements sont relatés à travers les mémoires d'un agent de la police secrète, Mia Couto lie le destin de ses personnages aux territoires qu'ils sillonnent dans l'espoir de lever les mystères planant sur leur passé et celui de leur pays. « De même que la ville coloniale avait sombré dans la folie pour se défendre contre le chaos, je tombais moi aussi malade pour me défendre contre mon quotidien en ruine », songe Diogo dont la famille, bien que blanche, n'avait pas les mêmes droits que celles des colons les plus aisés. Au fil de son voyage « vers le centre de son âme », Diogo devient « ce gardien des histoires qui charrie des absences et des silences comme s'ils étaient des graines », un passeur de mémoire conscient que « tout ce qui ne se transforme pas en histoire se perd dans le temps ». Mêlant dans son écriture les dialectes locaux à la langue portugaise, Mia Couto est engagé en faveur de l'indépendance d'un pays qu'il n'a jamais quitté. À l'instar de son double fictif, il transforme en histoire les faits dont il a été témoin afin de combler les absences et les silences d'antan.

Mia Couto
Le cartographe des absences Traduit du portugais (Mozambique) par Elisabeth Monteiro Rodrigues
Métailié
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 22,80 € ; 352 p.
ISBN: 9791022612159

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