Le djinn du cartable. Mehdi, le héros et narrateur, est un brillant sujet. Né dans une famille modeste de province, mère basque, père ouvrier algérien, il a réussi l'École normale supérieure et, latiniste, enseigne au très chic lycée Henri-IV. Il n'a jamais connu le racisme ni éprouvé de problème particulier quant à ses origines. C'est un parfait exemple d'intégration à la française, de méritocratie républicaine. Quand elle entrera dans sa crise d'adolescence polymorphe (végane etc.), sa fille Norah, protestant alors contre une supposée islamophobie, le traitera même un jour d'« Arabe de service ». Dans sa jeunesse, il a milité mollement du côté de SOS Racisme à la grande époque « Touche pas à mon pote », et il avait adoré Douce France dans la version du groupe Carte de Séjour (en 1986), dont le leader était un certain Rachid Taha. Tout son contraire : un gosse des quartiers populaires de Lyon révolté par le racisme ambiant, la misère sociale, et qui avait profité de l'arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981, pour interpeller les politiques, tenter de leur faire concrétiser leurs belles paroles en mesures tangibles. On connaît la suite. Quarante ans après, certaines banlieues semblent parfois des ghettos voire des zones de non-droit, et le discours des politiques est toujours le même. Rachid Taha, lui, le rebelle, est mort le 12 septembre 2018.

Et voilà que, trois mois et quelques jours après, tel un djinn, il apparaît à Mehdi, le seul à le voir et à pouvoir lui parler, nichant au fond d'un cartable luxueux acheté pour quelqu'un de très cher. On n'en dira pas plus, puisque l'identité du propriétaire du bel objet, symbolique d'une éducation haut de gamme, ne nous sera révélée qu'à la toute fin du roman, dont elle explique tout, notamment l'explosion de la famille de Mehdi, séparé de sa femme Cécile, et dont le lien avec ses enfants s'est distendu. Jalil, le fils aîné, est même parti s'installer dans la Silicon Valley, où il est en train de devenir un parfait geek californien.

Ce premier roman de l'homme politique socialiste et essayiste Mehdi Ouraoui se présente comme le journal de Mehdi sur un an, 2018-2019. C'est un bel exercice de style, élégamment écrit, qui, sans pathos ni grandes sentences, traverse un certain nombre des problèmes majeurs de notre société : intégration, racisme, communautarisme, religions, inégalités... Douce France ?