Avant-critique Histoire

Mathieu Da Vinha, "Le plaisir de vivre ou les libertés de la marquise de Jaucourt" (Tallandier)

Portrait de la comtesse de la Châtre, peint par Élisabeth Louise Vigée Le Brun, 1789. - Photo DR/Vigée-Le Brun

Mathieu Da Vinha, "Le plaisir de vivre ou les libertés de la marquise de Jaucourt" (Tallandier)

Mathieu Da Vinha brosse le portrait de la marquise de Jaucourt, née Mlle Bontemps, descendante de valets du roi et maîtresse de Talleyrand.

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Par Sean Rose,
Créé le 21.03.2023 à 09h00

Insoumise marquise. Comme celui dont elle fut la maîtresse, Marie Charlotte Louise Perette, marquise de Jaucourt (1761-1848), aura traversé les époques et connu tous les régimes : l'Ancien Régime, la Révolution de 1789, la Terreur, le Directoire, le Consulat, l'Empire, la Restauration, la monarchie de Juillet et même sa chute. Ce que ne vit pas son vieil amant Talleyrand mort dix ans plus tôt. Cette dernière des libertines dont Mathieu Da Vinha brosse le portrait survécut à toutes les vicissitudes du siècle et de la fortune. La sienne ne fut, du reste, pas si mauvaise. Née Mlle Bontemps, descendante d'une longue lignée de valets de chambre du roi, elle épouse très jeune le comte de La Châtre qui a le double de son âge et qui est issu de la haute noblesse. Elle héritera d'un oncle par alliance sans enfants et banquier de son état. Son ascension ne marquera une pause que pendant la période révolutionnaire. Et encore... elle en profitera pour divorcer d'avec son mari émigré en Angleterre et épouser son amant le comte de Jaucourt, futur marquis et dignitaire de l'Empire... Par ce présent ouvrage, Le plaisir de vivre ou les libertés de la marquise de Jaucourt, Mathieu Da Vinha boucle la boucle d'un travail commencé il y a vingt ans sur la « commensalité » - cette classe de serviteurs royaux - avec Les valets de chambre de Louis XIV (Perrin, 2004). La fonction servile dont la charge devient héréditaire place ces roturiers dans l'intimité du souverain de génération en génération, leur octroyant une position privilégiée et fort courtisée des classes d'affaires, méprisées dans l'Ancien Régime par la noblesse, et qui cherchent à tout prix à s'approcher de la cour. Les alliances sont nombreuses entre ces intimes du trône et les financiers ambitieux. Parmi ces commensaux (étymologiquement, ceux qui sont à la même table ; comprendre, en l'espèce, ceux que le roi nourrit), Alexandre Bontemps, premier valet de chambre du Roi-Soleil et dont l'arrière-arrière-petite fille n'est autre que la marquise.

Comme il était d'usage dans les cercles aristocratiques et libertins du XVIIIe siècle, la dernière rejetonne de l'insigne dynastie de domestiques royaux entretient des relations extraconjugales ; elle a avec son futur second époux un enfant naturel que le couple, après avoir convolé en justes noces, adoptera. L'auteur dépeint comment les salonnières libérales dont fait partie Marie Charlotte accueillent avec passion pour les idées des Lumières et certaine ivresse mondaine les théoriciens de la Révolution, qui allaient ériger leurs principes d'égalité en système sanguinaire et dresser la guillotine qui perdraient bientôt leurs nobles hôtesses. Nous voilà tour à tour plongé dans les salons à la veille de la Révolution, puis dans le vertige de la Terreur, dans la France sous Napoléon puis celle du retour des Bourbons... Le livre de Mathieu Da Vinha se lit comme un roman, tant la vie de son sujet est romanesque. Comme une manière d'hommage, aussi, à une femme libre, se rebellant contre toute « règle ennuyeuse », dotée d'un formidable goût du bonheur.

Mathieu Da Vinha
Le plaisir de vivre ou les libertés de la marquise de Jaucourt
Tallandier
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 24 € ; 352 p.
ISBN: 9791021049338

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