Un bungalow d'été dans la sierra madrilène. C'est ici qu'en mars 2020, un professeur jeune retraité choisit de se confiner avec deux « incontournables » : la Bible et Don Quichotte. « J'ai pensé qu'ils étaient parfaits pour affronter la fin du monde, ces deux livres ayant la capacité d'en résumer d'autres. » À la télévision : le défilé des épidémiologistes, le décompte macabre des victimes du Covid. L'irréalité grignotant peu à peu le monde tangible, comme un écho au chef-d'œuvre de Cervantès. Pour ne pas perdre pied, Salvador fait ses courses, seule activité octroyant encore des laissez-passer. Et fait ainsi la connaissance de Montserrat, qui tient la seule épicerie du coin.
« J'ai cinquante-huit ans et j'ai envie d'aimer », pense Salvador au contact de Montserrat, 45 ans, un passé, un enfant dont la garde lui a été retirée. Autant de blessures à apprivoiser, immuablement proportionnelles au nombre d'années qu'un couple additionne. Mais bientôt, Montserrat n'a plus besoin de prétextes pour garer sa voiture devant le bungalow de Salvador. Tandis qu'au-dehors les visages disparaissent sous des masques, qu'une simple embrassade ou poignée de main est déclarée suspecte, Salvador et Montserrat redécouvrent le sens du toucher, l'indispensable sensualité. « Et dire qu'on s'échine à trouver des sens à la vie qui ne sont pas liés aux transports de l'amour, du baiser, de l'érotisme. Comme s'il y avait quelque chose au-delà d'un baiser. Il n'y a rien. Le virus l'a dit : il n'y a rien. » Tandis que les ondes véhiculent des nouvelles toujours plus alarmistes, le silence de la forêt protège cet amour naissant. « Notre langue, c'est le silence de l'amour », affirme Salvador. « Pas une langue de gens normaux », s'amuse Montserrat - mais quels amants le sont ? Alors que les gestes les plus simples ne semblent plus aller de soi, Salvador se raccroche aux sentiments que cette femme lui inspire. « Le degré de réalité de ce que nous vivons est discutable, mon amour pour Montserrat ne l'est pas, là est ma foi. »
L'amour au temps du Covid. Aux craintes nées de l'apparition d'un nouveau virus, à l'effondrement des certitudes, Manuel Vilas répond par la littérature et par un récit tendre et drôle qui surprendra les lecteurs d'Ordesa et Alegria (Éditions du sous-sol, 2019 et 2021), les deux premiers volets de ce qu'on imaginait devenir un triptyque autobiographique. La pandémie l'a rattrapé, et l'écrivain lui oppose un acte charnel : ces « baisers » qui donnent son titre au roman. Double contemporain du héros de Cervantès, son narrateur part en croisade contre l'absurdité, au risque d'y laisser quelques plumes tant tout ce qui le concerne ne tourne bientôt plus qu'autour de cette nouvelle Altisidore. Avec Montserrat, Salvador se construit un refuge où peut s'exprimer le désir de corps matures, où le passé et les défaites de l'autre n'ont pas à être tus. Où l'érotisme n'a pas à être honteux. Si le lien unissant ces deux anonymes « n'a aucun renom » et « n'existe pas aux yeux de l'Histoire », il n'est pour autant réduit à sa banalité. Avec Les baisers, Manuel Vilas rappelle que « c'est une chance d'être vivant et d'attendre d'aimer ».
Les baisers Traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon
Éditions du sous-sol
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 24 € ; 416 p.
ISBN: 9782364686410