À la folie. Marcelo, le mari d'Irene, la cinquantaine, vient de mourir d'un cancer. Cette perte insupportable advient après vingt ans de vie commune dans un couple fusionnel. Ces inséparables ne s'éloignaient jamais plus de quelques jours l'un de l'autre, habitués à se nourrir d'un amour absolu qui se reflétait dans chaque instant de leur existence heureuse. Ils formaient une entité qui peu à peu s'est éloignée des cercles familiaux et amicaux, jusqu'à l'isolement. Leur bonheur intact révélait par contraste le déni dans lequel vivaient les couples de leur entourage. Mais bien trop vite, la maladie emporte Marce et signe la fin de cette osmose. Irene se lance alors dans un voyage sans destination, dans une errance. « Je n'ai pas de maison, pas de foyer, pas de famille car c'était toi qui symbolisais tout ça. Et si je suis en rotation, le passé se liquéfie. Il se transforme en désir. » Au volant de sa BM cabriolet, elle parcourt la Méditerranée et s'arrête de ville en ville, au gré des rencontres et du hasard. Les multiples anecdotes de voyages avec Marce aux quatre coins du monde et dans les plus beaux hôtels ponctuent le récit de cette jeune veuve qui dépense sans compter et que seuls les souvenirs de ces instants heureux passés semblent maintenir en vie.
Très vite, dans ce voyage en solitaire avec le fantôme de Marce se succèdent aussi les conquêtes. Et à travers elles se révèle une femme en proie aux vertiges de la perte. Cette recherche effrénée et désespérée de l'amour disparu s'articule autour des rencontres charnelles que fait Irene avec des hommes et des femmes croisés sur son chemin. Par l'intermédiaire de ces corps, elle parvient à retrouver des morceaux de Marce : une expression, un détail physique, un discours, une alchimie sensuelle. Et si le fantôme de Marcelo se glissait volontairement dans chacune de ces personnes pour entrer en communion avec Irene ? Et si la seule continuité possible de cet amour qui ne peut pas ne plus être se situait dans l'illusion de ces conversations sexuelles post mortem ? Lors de cette course folle, chaque départ prend finalement la forme d'une fuite. Les rencontres semblent de plus en plus similaires, difficiles à croire, à suivre. Les mots sont les mêmes, les invitations aussi, la passion, pourtant si intense, est lissée par la répétition.
Dans ce nouveau roman, prix Nadal 2023 du meilleur roman espagnol, Manuel Vilas nous entraîne avec grâce et poésie dans cette exploration d'un deuil impossible. L'auteur du magnifique Ordesa (Éditions du sous-sol, 2019) confirme ici ses talents d'écriture réflexive. Cette fois, se déplaçant dans la psyché d'une femme qui souffre violemment de l'absence, il s'approche au plus près d'une conscience en fuite, dans une langue et un mouvement sensibles et éthérés, d'une douceur inouïe jusqu'à la chute, d'autant plus féroce.
Irene
Ed. du sous-sol
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 23,50 € ; 384 p.
ISBN: 9782364687394