Tout commence dans une librairie. Celle de George Papadatos, à Athènes, sent le vieux papier et le tabac. C’était juste avant la fin de la drachme. Armand Marie Leroi y découvre l’Histoire des animaux d’Aristote. Il n’est pas philosophe, mais biologiste. La lecture de l’œuvre de cet homme qui ramasse un bigorneau et se demande "qu’y a-t-il dedans ?" le fascine tant qu’il décide de pousser plus loin son investigation sur ce traité, puis sur son auteur qui veut comprendre le monde par l’observation. Cela donne La lagune, un ouvrage inclassable qui raconte la vie du Stagirite et la manière dont il inventa la science.
Il est bien sûr question de l’Histoire des animaux (réédité pour l’occasion le 18 octobre dans la "GF") mais aussi de beaucoup d’autres choses. Néerlandais, Armand Marie Leroi est né à Wellington, en Nouvelle-Zélande. Il enseigne la biologie du développement évolutif à l’Imperial College de Londres et s’est fait connaître du grand public avec un ouvrage sur les mutants, non traduit en français, qui a reçu le Guardian First Book Award en 2004.
Pour lui, Aristote sur cette île grecque de Lesbos fut le premier biologiste du monde. Il pose cette hypothèse dans ce livre qu’on ne quitte pas tant il fascine. La thèse se défend, d’autant que le penseur n’était pas, comme Darwin, perché sur les épaules des géants qui l’avaient précédé. Mais l’intérêt de l’ouvrage est ailleurs. Il réside dans sa façon de suivre une intelligence à l’œuvre et de se saisir du moment où Aristote invente le raisonnement que l’on porte sur la nature pour l’expliquer.
Dans de brefs chapitres parfois illustrés où il se met en situation, en quête de son propre travail, Armand Marie Leroi retrace la vie d’un philosophe et sa philosophie de la vie, y compris dans ses impasses comme sa théorie de la génération spontanée qui fut si néfaste dans la pensée scientifique.
Pour écrire ce genre de livre, il ne fallait être sans doute ni philosophe, ni historien. Armand Marie Leroi s’en excuse auprès de ses lecteurs. Ils lui pardonnent volontiers en se disant que c’est peut-être pour cela que son texte est si captivant. Sous sa plume, la science se dévoile comme une formidable aventure intellectuelle. Et vingt-trois siècles après, la phrase qui ouvre la Métaphysique se dresse toujours comme un totem : "Tous les hommes, par nature, désirent savoir."
Laurent Lemire
