Alors qu’un ancien cancer se rappelle à lui, que le soir se rapproche et la mort aussi, un homme ravive celui qu’il était dans sa vingtaine. A l’époque, le narrateur de Jean-Claude Pirotte rentrait de Florence assez désargenté. Il avait loué une modeste « bicoque », avec un sol en terre battue et un grand chêne dans le jardin, non loin du village où il avait grandi. Là, il griffonnait de mauvais poèmes en attendant qu’un miracle lui donne « à écrire le chef-d’œuvre auquel chaque adolescent a rêvé ».
Monsieur n’était pas seul et s’occupait de sa fille encore bébé, pendant que la mère de l’enfant poursuivait ses études ou voyageait en Espagne. La voisine apportait parfois des œufs et du lait. En fin de journée, il se détendait en jouant à la pétanque. Avec le recul, le double de l’auteur d’Un été dans la combe (La Table ronde, 1993) et de La pluie à Rethel (Luneau Ascot, 1982, repris en « Petite Vermillon, 2002) dit avoir mené une vie « dérisoire » et peut-être tout simplement « belle », une existence qui n’a « jamais été qu’une suite de brouillons ». Les souvenirs remontent. Revoici un garçon qui abhorrait l’école, se retranchait en lui dès la moindre remarque. Ses carnets des années 1950 font aussi resurgir le jeune homme de 17 ou 18 ans qu’il était alors, fou de littérature, de peinture et de musique. Jeune homme qui s’abreuvait des romans de Mac Orlan et des poèmes d’Henri Thomas.
Lesdits carnets promènent le lecteur en Bourgogne, avec Marius et Roberte. Dans un café d’Amsterdam, avec le Belge Raymond. Un voyou manifeste avec lequel il partage coquilles Saint-Jacques et puligny-montrachet, tout en jetant les bases d’une étrange association de malfaiteurs censée les enrichir tous deux…
Vibrant et lumineux, traversé par la grâce, Brouillard est du grand Pirotte. Un Pirotte dont on goûte ici chaque phrase, chaque image, avec une rare délectation.
Al. F.