BD à Bastia 2023

Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier : « Il fallait absolument que l’on travaille ensemble ! »

Benjamin Bachelier et Loo Hui Phang au théâtre municipal de la ville de Bastia, vendredi 31 mars 2023 - Photo Elodie Carreira

Loo Hui Phang et Benjamin Bachelier : « Il fallait absolument que l’on travaille ensemble ! »

En 2016, le dessinateur Benjamin Bachelier et la scénariste Loo Hui Phang se croisent pour la première fois sur le festival Bastia BD. Une rencontre qui mène les deux artistes à la création du roman graphique Oliphant, récit d’une expédition polaire fantasmagorique paru aux éditions Futuropolis en mars. Entretien. 

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Par Elodie Carreira à Bastia ,
Créé le 31.03.2023 à 17h16 ,
Mis à jour le 02.04.2023 à 19h19

Livres Hebdo : Votre rencontre à Bastia BD en 2016 a été le point de départ de votre collaboration.

Loo Hui Phang : Nous nous sommes rencontrés à un dîner organisé par le festival, au cours duquel nous avons eu une discussion interminable. Le lendemain, je suis allée voir l’exposition de Benjamin. C’était la première fois que je voyais son travail de peinture. C’était magnifique. C’est très rare des dessinateurs qui font de la peinture et qui le font bien. Benjamin avait une obsession du paysage similaire à la mienne, avec une approche cérébrale, presque sensuelle des éléments. Il fallait absolument que l’on travaille ensemble !

Benjamin Bachelier : On s’est retrouvés un an après dans un tout petit café à Angoulême. C’est là que Loo m’a déroulé tout le scénario. J’ai été pris comme un lapin dans les phares d’une voiture (rires) !

 

Oliphant, c’est surtout la mise en images d’une histoire vraie. Une véritable expédition en Antarctique, au début du XXe siècle, menée par le capitaine Shackleton, ici renommé capitaine Oliphant. Qu’est-ce qui vous a inspiré cette idée ?

L.H.P : Je suis tombée sur cette histoire extraordinaire dans un documentaire Arte. J’ai été captivée par les conditions de survie de l’équipage. L’Antarctique est un territoire aux confins du monde. Inatteignable donc propice aux fantasmes. C’est un lieu souvent désigné comme la face cachée du monde mais aussi l’origine de tout. Là-bas, la glace est vieille de trente millions d’années. Dans l’expédition, la survie de la vie humaine ne tient qu’à la volonté d’un seul homme. C’était plus cela que l’aspect historique qui m’intéressait. J’y ai ensuite insufflé ma fiction, en imaginant les divagations mentales des personnages.   

B.B: Quand Loo m’en a parlé, c’était vertigineux. Son scénario me touchait. J’avais des images qui se dessinaient dans ma tête. En même temps, je ne savais pas quelle forme ça allait prendre. A ce moment-là, j’avais un immense terrain de jeu et de liberté. J’avais envie de m’approprier le récit, d’explorer ce nouveau territoire.

 

Oliphant
Planche originale de Oliphant exposée dans le Centre culturel de Bastia. Arcadi, jeune homme de 20 ans, est le fils adoptif du capitaine Oliphant.- Photo BENJAMIN BACHELIER

Benjamin a donc eu carte blanche ?

L.H.P : Je laisse toujours des moments de bravoure au dessinateur. J’ai écrit Oliphant spécifiquement pour lui. Je savais que ce qu’il allait faire serait ce qui devait être fait. Quand on choisit le bon partenaire, on n’est pas déçu, quoi qu’il fasse.

B.B : On ne se connaissait pas bien avant mais il y a eu une intuition. On imaginait probablement des choses différentes mais ce travail, entre le dessinateur et le scénariste, c’est avant tout une relation de confiance.

 

Vous vous êtes tournés vers la maison d’édition Futuropolis que Loo connaît déjà bien. En revanche, c’était une première pour Benjamin. Comment ça s’est passé ?

B.B : On a surtout fonctionné avec Sébastien Gnaedig. En tant qu’éditeur, c’est notre premier lecteur, le premier regard critique sur l’œuvre. Je me souviens que j’emmenais des paquets de planches grand format, impossible à poster. Il a su m’encourager quand j’avais des doutes et me dire honnêtement quand ça n’allait pas. Au début, certaines idées étaient un peu désorganisées, notamment sur la narration. Il a su me guider pour que l’ensemble soit fluide et compréhensible.

L.H.P: Je savais que Sébastien me comprendrait. Qu’il aurait un soin tout particulier au niveau de la fabrication, du scan et de l’impression du dessin de Benjamin. C’était très important parce qu’il y a un vrai jeu de textures dans les planches. L’enjeu était de conserver la force et la lisibilité de l’histoire. Si le dessin est trop présent, il peut tuer l’histoire. C’est, à mon sens, le défaut de livres très démonstratifs graphiquement. Il faut qu’il y ait un frottement entre le texte et l’image pour créer de la tension.

 

« La bande dessinée c’est des milliers d’images qui, ensemble, font récit »

 

L’album parle aussi d’un rapport de force entre l’homme et son environnement. Les scientifiques de l’expédition sont d’ailleurs assez conscients des limites de leur rationalité face aux lois de la Nature. Une thématique qui fait écho aux enjeux écologiques actuels.

L.H.P : Complètement. L’état du monde actuel, d’un point de vue écologique, est catastrophique. Et l’Antarctique est un point névralgique du système climatique. Aujourd’hui, il se désagrège au fur et à mesure que la planète se réchauffe et les conséquences pour nous, s’il disparaissait, pourraient être terribles. Nous sommes connectés, ce qui est à la fois terrifiant et rassurant. Les lois de l’homme et de la nature sont les mêmes. La Terre est un organisme vivant qui, comme ses hommes, tente de survivre.

 

Aujourd’hui, pour le 30e anniversaire des Rencontres de Bastia, votre album est exposé au Centre culturel. La boucle est bouclée ?

B.B : Evidemment on est fiers. C’est très beau. On voit comment l’histoire et le dessin se transforment au fil de l’album. Mais le plus important reste le livre. Si ce n’est pas exposé, ce n’est pas grave. Ce n’est pas comme une peinture, qui est destinée à être montrée en tant que tel. La bande dessinée c’est des milliers d’images associées ensemble pour faire récit. Les images sont fortes justement parce qu’elles sont insérées dans une trame.

 

Cette création vous a-t-elle inspiré de nouveaux projets ensemble ?

L.H.P: On travaille déjà sur un nouveau projet mais qui n’a rien à voir (rires) ! Il s’agit d’un essai sur la dimension sociologique du travail d’Yves Saint-Laurent. La narration sera totalement éclatée mais tout partira d’une anecdote réelle qui met en jeu le smoking pour femme, pièce maîtresse du couturier et vêtement incroyablement sociologique. Avec un peu de chance, l’album sortira chez Albin Michel BD avant la fin 2024. 

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