Après La maladroite (2015) et L’administrateur provisoire (2016), le troisième roman d’Alexandre Seurat dans "La brune" dévoile une nouvelle facette du talent de cet agrégé de lettres modernes, auteur d’une thèse sur les hallucinations et les délires dans le roman européen des années 1920 à 1940, publiée en 2016 chez Honoré Champion sous le titre La perte des limites.
Le Funambule de ce livre traverse lui aussi une crise existentielle qui altère sa conscience et brouille les frontières. Le roman se met dans les pas instables et les perceptions chahutées d’un homme au bord de sa vie, aspiré par le vide et prisonnier d’une angoisse sans contours qui a pris possession de lui. "Le monde défilait, loin de lui, sans lui." Rien ne va plus, tout a déraillé : la femme qu’il aimait l’a quitté - il se souvient qu’elle lui reprochait d’accorder trop d’importance à l’opinion des gens - ; il a abandonné la recherche universitaire pour devenir écrivain mais il n’arrive plus à écrire. Et son état mental l’a rendu matériellement dépendant de ses parents avec lesquels la communication est difficile. Sa mère, en particulier, en convalescence, le regarde "comme elle aurait regardé un animal étrange et dangereux".
Bref roman, ramassé sur quelques jours, Un funambule entre dans un double mouvement, à distance et de l’intérieur, dans un processus de dépossession de soi, de déprise, dans cette "immense fatigue" qui embrume la réalité jusqu’à la distordre. "Quelque chose errait à l’intérieur de lui, qu’il ne savait pas comment pousser dehors." Immobilisé par une lancinante douleur morale qui l’engourdit et l’isole, le garçon qui se voit hors jeu voudrait pouvoir "marcher en arrière". Ou disparaître, loin de tout. Véronique Rossignol