Au moment des sanglants attentats de Bombay je lisais le roman de Raj Kamal Jha, Et les morts nous abandonnent (Actes-Sud). Etonnante coïncidence. A la fenêtre d’un grand hôtel de Bombay, la silhouette d’un homme, bras écartés, semblant appeler à l’aide. A la fenêtre d’un hôpital d’Ahmedabad, la silhouette furtive d’une femme qui écrit sur la buée de sa chambre « Help me ! » La première scène, je l’ai aperçue aux infos, la deuxième je l’ai vue, de mes yeux vue, dans le livre de Raj Kamal Jha publié en Inde en 2006 et sortie récemment en France. L’Inde de Gandhi n’est pas non-violente . Si le père de la « plus grande démocratie au monde » a tellement prêché la non-violence c’est justement parce qu’il savait son pays travaillé par la soif de vengeances. L’occupation anglaise pleine de morgue, l’opposition qu’elle joua, en bon colonisateur cynique, entre hindous et musulmans ne pouvaient que provoquer des explosions terribles que le Mahatma essaya d’empêcher avant d’être assassiné. A l’indépendance, ce pays-continent se cassa en deux pays et demi, l’Inde et le Pakistan séparé entre l’Ouest et l’Est jusqu’à la naissance du Bangladesh. Et l’Inde d’aujourd’hui compte entre 12 et 14% de musulmans (82% d’hindouistes). Mais cela n’intéresse guère notre presse et les Français en sont restés aux Lanciers du Bengale et à Gandhi. Dans le contexte actuel il n’est pas nécessaire d’y ajouter un cliché supplémentaire, celui des méchants musulmans terroristes. Et c’est là que le roman de Raj Kamal Jha est éclairant. Des massacres à répétition . En 2002 dans l’état du Gujarat un attentat contre un train avait fait 59 morts hindous. Poussé par les haines qu’entretenaient les fondamentalistes hindous (le BJP, parti extrémiste dénoncé par plusieurs auteurs dont Salman Rushdie, avait pris le pouvoir) la réplique fut terrible. On évalue le bilan à 1.000 morts (à 70% des musulmans) et 12.000 maisons détruites. C’est cette histoire que Raj Kamal Jha raconte, non en grand journaliste qu’il est mais en romancier au talent éblouissant à travers des personnages étonnants, un père et sont fils sans bras ni jambe qui traverse une ville en feu, soumise aux vols, aux viols, aux coups, aux incendies, et les récits que les morts qu’il croise lui font. Au-delà des analyses que vous lirez ici ou là et qui mettent une fois de plus en lumière le nombrilisme occidental –le mouvement qui revendique les attentats de Bombay est-il lié à Al Qaeda ? Les terroristes ont-ils ciblés plus spécifiquement les touristes occidentaux, américains, britanniques ?- il faut lire Et les morts nous abandonnent . Et d’abord parce que c’est un grand livre. Pour ceux qui veulent s’en faire une idée plus précise, je vous propose d’aller voir un blog français, les Mille et un livres de Naina qui s’intéresse notamment à la littérature indienne, une critique belge du Soir (les Français l’ont raté…) et une interview en anglais de l’auteur (voir blog Notes de lecture , journal Le soir , et blog Jaiarjun ). Rendez-vous manqué . Par les hasards d’un métier commun, le journalisme, et d’un goût commun pour les livres, nos routes se sont croisées. Nous avons en commun, Jha et moi, le goût pour Don DeLillo, l’Amérique des universités. Nous nous sommes ratés de peu à Yaddo, une résidence d’écrivains du nord de New York, nous nous sommes parlés au téléphone mais jamais nous ne nous sommes rencontrés. Et pourtant… Il y a quelques années j’avais lancé au JDD un feuilleton littéraire d’été. A tour de rôle des écrivains prenaient la plume pour raconter la suite d’une histoire que Colum McCann avait inventée à New-York, celle d’un couple improbable, un photographe et une jeune algérienne, qui faisait le tour du monde toujours menacé par des tueurs mystérieux. Laurent Sagalovitsch, qui vivait alors à Vancouver, avait suivi, puis Fiona Capp en Australie, un ami écrivain néozélandais, John Crana à Auckland, et puis, et puis… J’étais sec après plusieurs tentatives pour trouver un auteur-escale avant de rejoindre l’Afrique. Totalement sec. Jusqu’à ce qu’on m’indique un jeune écrivain indien dont Gallimard allait publier un roman qui avait connu un beau succès en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Le temps de me plonger dans Le couvre-lit bleu et j’étais sûr que c’était mon homme. Mais lui qu’en penserait-il ? J’envoyai un mail à l’adresse que son éditeur m’avait indiquée et –magie d’Internet- je recevai quelques minutes après « OK ! Combien de pages ? Pour quand ? » Ce fut l’un des plus beaux textes que j’ai publiés. L’histoire d’une femme de ménage de l’hôtel qui vivait dans un bidonville et regardait avec envie les affaires des deux héros de cette histoire en leur absence. Help me !