De l’abjection qui peut parfois saisir avec une fureur morose un homme, une génération, un pays, c’est l’un des meilleurs "témoignages". Un gros livre, un pamphlet odieux, comme l’époque en générait alors beaucoup, paru en 1942, et qui a la réputation, probablement justifiée, d’avoir été le "best-seller" de l’Occupation. Après la guerre, ce livre, Les décombres, fut prestement passé par pertes et profits (il ne sera jamais vraiment réédité qu’une fois, par Jean-Jacques Pauvert dans les années 1970, expurgé de nombre de passages les plus insupportables) et son auteur, Lucien Rebatet, après un séjour à Sigmaringen, jugé, condamné à mort, gracié, puis peu à peu doucement oublié. C’est assez dire combien la publication aujourd’hui dans la collection "Bouquins" de Robert Laffont du Dossier Rebatet (composé, donc, des Décombres, mais aussi d’un Inédit de Clairvaux, écrit durant ses années d’incarcération, et de différentes pièces historiques, documents, entretiens et mises en perspective) est, que l’on s’en félicite ou non, un authentique événement éditorial. Pour notre part, on se félicitera qu’ainsi replacé dans son contexte à l’usage du lecteur d’aujourd’hui Les décombres cesse d’être seulement vendu sous le manteau numérique de suspectes officines rôdant sur la Toile… La préface par laquelle Pascal Ory résume brillamment toute "l’affaire" est un modèle du genre, toute de rigueur et de pénétration lucide. On peut en écrire autant du travail de Bénédicte Vergez-Chaignon, qui a dirigé l’édition de ce fort volume et en a donc composé tout le nécessaire et impeccable appareil critique.
Qu’apprend-on en lisant ces Décombres que l’on ne savait ou soupçonnait déjà ? Que Rebatet était, dans son pedigree comme ses choix volontaires, sa pensée, un concentré "chimiquement pur" de fasciste français ? Pas vraiment, on s’en doutait. Plus sûrement que Rebatet pouvait être un fieffé salopard. C’était aussi un très bel écrivain, dont les plus belles pages élèvent le pamphlet à la hauteur d’un Léon Bloy ou d’un Céline évidemment. On ne s’ennuie pas (hélas ?) à la lecture de ces pages et ces pages de ressassement éructant ; le style, vif, incisif, y veille. Enfin, que l’antisémitisme dont il se pare n’est pas une opinion, bien sûr, et moins somme toute une faute morale, qu’une névrose obsessionnelle convulsive. Le 6 février 1934, à Vichy, dans le cinéma, chez les compositeurs, jusque chez ses proches, Rebatet voyait des Juifs partout. Ils étaient toute sa vie. Jusqu’à sa mort.
O. M.