Le narrateur du précédent livre de Ricardo Menéndez Salmón, Le correcteur (Jacqueline Chambon, 2011), était un misanthrope. Celui que l'on trouve au coeur de La philosophie en hiver est quant à lui, hypocondriaque et solitaire ! Urbano Cervantes travaille sur une table en chêne qui lui sert de bureau, à proximité d'un portrait de Baruch Spinoza affublé d'une redingote. Notre homme refuse de se débarrasser du vieux cardigan de laine tricoté par sa mère, "même s'il est trop étroit aux épaules et ne lui tient pas assez chaud quand l'hiver redouble, lui donnant l'air dans le miroir d'un adulte enfoncé dans des vêtements d'enfant".
Féru de musique classique, le sieur Cervantes a jadis proposé ses services en tant que "copiste, esclave absolument fidèle, liftier ébahi" à la revue Le Domaine musical, dirigée par Pierre Boulez. Il a été coursier pour un laboratoire de chimie, a rédigé un mémoire sur l'animisme en Chine, gagné sa vie comme gardien de musée. L'érudit dont l'anniversaire tombe le jour du décès de son philosophe favori a beaucoup voyagé avant de se poser à Amsterdam, où il a décidé de se consacrer corps et âme à un lexique spinozien. Un dictionnaire où il bute pour l'instant sur le mot DIEU.
Ricardo Menéndez Salmon quitte parfois l'année 1995, où évolue son personnage qui se meut en marge du monde, pour nous ramener en 1677. Lorsque "l'Espagnol", comme l'on surnommait M. Spinoza, vient de mourir dans son lit à Amsterdam, peu de temps après avoir engrossé Mme Rebeca Ekerman, l'épouse d'un meunier. D'amour et de mort, il sera également question pour Urbano Cervantes. Que l'on accuse d'avoir assassiné Camila, une prostituée qui reçoit en appartement et dont il est le client... Découvert avec L'offense (Actes Sud, 2009), Menéndez Salmón met ici en scène des existences rattrapées par une réalité brutale qui vient faire éclater le mur invisible les séparant du monde.