1er décembre > Histoire France > Michelle Zancarini-Fournel

Comment raconter l’histoire de France à hauteur d’hommes et de femmes, non plus vue d’en haut, mais d’en bas ? C’est le pari de Michelle Zancarini-Fournel. Sur le modèle d’Une histoire populaire des Etats-Unis d’Amérique de Howard Zinn (Agone, 2002), vendue à plus de 60 000 exemplaires, cette spécialiste d’histoire sociale contemporaine a entrepris de revisiter la chronologie nationale de 1685 à 2005.

La date de 1685 n’est pas choisie au hasard. C’est celle de l’année de l’adoption du Code noir et de la révocation de l’édit de Nantes, donc de l’exclusion des protestants de la communauté nationale. L’esclavage et les colonies sont d’ailleurs très présents dans ce récit informatif et militant qui se tient au plus près du vécu, du ressenti, des émotions, du sensible. Ainsi, l’historienne met en relation la révolte des canuts à Lyon en 1831, et la sanglante conquête de l’Algérie qui commence. Deux violences, deux soulèvements comme pour 1871 avec la Commune à Paris et la rébellion en Kabylie.

Celle qui a signé Le moment 68 (Seuil, 2008) et, avec Christian Delacroix, le volume consacré au temps présent dans l’"Histoire de France" chez Belin (2014) raconte aussi la voix des femmes qui se fait peu à peu entendre dans le concert masculin. Elle évoque les premiers ouvriers étrangers qui arrivent de Belgique et d’Italie à la fin du XIXe siècle, ces premiers migrants que les Français accueillent à bras fermés. "En 1930, le nombre des immigrants - multiplié par trois depuis le début du siècle - dépasse les 3 millions et le taux d’accroissement de la population étrangère est considéré comme le plus fort du monde. Il est supérieur à celui des Etats-Unis. Pourtant, la France n’a jamais voulu se vivre comme une nation d’immigrants."

On trouvera beaucoup de "gens de peu" dans cet ouvrage. Un galérien, un paysan, un compagnon vitrier, un bourrelier, une femme médecin, un mineur, une laveuse de vaisselle, un résistant guinéen. Michelle Zancarini-Fournel les a débusqués dans les archives, dans des documents juridiques, dans leurs Mémoires quelquefois, là où ils ont laissé une trace de leur passage sur la grande fresque toujours incomplète du passé. Dans cette histoire intérieure et secrète, elle fait surgir les figures de ce "peuple roi", ceux qui subissent le plus souvent, ceux qui se soulèvent aussi, ceux qui désobéissent. "C’est l’histoire des multiples vécus d’hommes et de femmes, celle de leurs accommodements au quotidien et, parfois, ouvertes ou cachées, de leurs résistances à l’ordre établi et aux pouvoirs dominants, l’histoire de leurs luttes et de leurs rêves."

Cette histoire-là, même si elle est collective, passe forcément par l’intime, par les héritages, les blessures, les cicatrices, les traces sur lesquelles nos vies se déterminent comme cette guerre d’Algérie qui n’en finit pas de tomber dans l’inconscient collectif. L’étoffe du passé se confond alors avec le tissu social. En montrer les accrocs sert aussi à en tester la solidité au fil du temps. Et surtout à ne pas faire de l’histoire une dévorante tunique de Nessus. Laurent Lemire

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