Saravouth a 11 ans et n'a pas quitté l'enfance. Il joue encore avec des figurines qu'il fait évoluer dans « le Royaume intérieur ». L'imaginaire du jeune protagoniste cambodgien d'Avant la longue flamme rouge de Guillaume Sire est nourri par Peter Pan et d'autres livres que lui donne sa mère, l'Iliade et l'Odyssée, il se repaît aussi du folklore khmer, des légendes de Thàn la voisine vietnamienne.

Phnom Penh 1971 : le Prince Sihanouk a été chassé du trône ; le général Lon Nol farouchement anticommuniste, gouverne d'une main de fer : intimidations, enlèvements, assassinats... On s'en prend aux catholiques vus comme des collabos de l'ancien pouvoir colonial français, aux Vietnamiens dont beaucoup sont catholiques et considérés à la solde des Chinois... Les Khmers rouges s'apprêtent à prendre d'assaut la capitale et faire à basculer le Cambodge dans le cauchemar sanguinaire du génocide.

Phusati, la mère, métisse française par son père et cambodgienne et de milieu bourgeois par sa mère, enseigne la littérature au lycée René-Descartes. Vichéa, le père, d'origine modeste, vient d'être nommé directeur des services des litiges à la Chambre d'Agriculture, il s'était converti à la religion de son épouse. Les Inn attisent les jalousies. L'épuration ethnique a commencé, les Vietnamiens disparaissent, viendra ensuite le tour des bourgeois et des censément bourgeois, à savoir les citadins, enfin c'est la population tout entière qu'on voudra « purifier ». La famille Inn est embarquée dans une camionnette. Un ciel déchiré dans un vertige de mitraillettes et de haches, les yeux apeurés de son père, sa mère qui les serre si fort, lui et sa petite sœur Dara, qu'il ressent encore la douloureuse étreinte... Saravouth, sinon, ne se souvient de rien, c'est le trou noir, le voilà dans une cahute malodorante, chez une vieille sorcière qui prépare des concoctions, la blessure au-dessus de son oreille lui fait souffrir le martyre, il se réfugie dans son Royaume intérieur mais il est de plus en plus difficile d'y habiter, l'en empêche « l'Empire », l'emprise des ténèbres sur les choses : on torture, on viole, on tue. Saravouth se raccroche à l'espoir de retrouver ses parents comme à un fil d'Ariane, celui qui permit à Thésée de sortir du labyrinthe. Et nous d'attraper ce même fil et de ne pas lâcher ce roman bouleversant dont il est à craindre qu'il ne soit tout à fait fictif.