Les libraires suisses sont chocolat

Les libraires suisses sont chocolat

La librairie indépendante souffre de la concurrence des grandes surfaces culturelles et de consommateurs rétifs. Qui parfois vont acheter directement en France.

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avec Créé le 09.02.2015 à 18h35 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

Pour être libraire en Suisse, il est préférable de s'installer dans une ville moyenne, de taille suffisante pour y trouver une clientèle, mais pas assez grande pour intéresser la Fnac, et aussi éloignée que possible de la France ou de l'Allemagne afin d'échapper à la concurrence des libraires frontaliers. Françoise Berclaz, qui développe depuis trente ans La Liseuse à Sion (30 000 habitants), dans la vallée d'un Rhône encore modeste, se trouve dans cette situation presque idéale. La concurrence avec Payot, arrivé deux ans après son ouverture, est "stimulante", et sa librairie s'étend maintenant sur 300 m2. "Mais il faut avoir le virus et ne faire que ça, même les jours de congé", explique avec passion la libraire qui trouve encore le temps de présider son association professionnelle.

A contrario, Lausanne (310 000 habitants dans l'agglomération) est devenue une terre brûlée pour les librairies indépendantes, écrasées entre une Fnac de 3 000 m2 (dont 600 pour le livre) et le navire amiral de Payot (2 000 m2), qui a son siège dans la capitale du canton de Vaud. La France est certes de l'autre côté du lac Léman mais, avec plus d'une douzaine d'allers-retours quotidiens en 35 minutes vers Evian (et autant vers Thonon), le shopping transfrontalier en ferry est facile. Les Yeux fertiles, une des dernières librairies généralistes de la ville (550 m2), a fermé en décembre. Basta ! tient encore deux points de vente, dont un à l'université, mais c'est une librairie coopérative autogérée, adossée aux Nouvelles éditions populaires, où le bénévolat apporte un soutien appréciable.

A Genève, le bassin de clientèle est plus important (472 000 habitants), mais la concurrence Payot-Fnac fait aussi souffrir les indépendants, et la France est toute proche. La baisse d'activité y est plus importante qu'ailleurs, reconnaissent les diffuseurs. Conséquence, la Nouvelle librairie Descombes, rue du Vieux-Collège, entre la cathédrale et le lac, a fermé à l'automne. Payot a licencié trois salariés pour raison économique à la même période, et ne remplace plus les départs pour le moment.

"De façon globale, ça va mal", résume avec son franc-parler habituel Patrice Fehlmann, directeur de l'Office du livre (OLF) à Fribourg, distributeur de Flammarion, de Gallimard et d'Editis. "Au second semestre 2011, l'activité a plongé de 15 %", déplore Raymond Filliastre, directeur de Servidis. Reconnu pour appliquer les tabelles les plus raisonnables, quand même à hauteur de 25 % du prix français, le diffuseur-distributeur de La Martinière et d'Actes Sud, filiale à 50/50 de Volumen et de Slatkine, souligne qu'il accompagne les libraires dans cette phase difficile, en leur accordant une surremise mensuelle de 3 %. Les représentants d'Editis et d'Hachette préfèrent laisser la parole à leur direction. Chez Hachette, on rappelle que « les prix catalogue sont fixés par Diffulivre au regard des coûts auxquels il fait face ; et le différentiel de prix entre les marchés français et suisse est la contrepartie d'un réseau de diffusion de proximité ».  La Fnac ne s'exprime pas.

DES VENTES ÉTONNANTES

Les diffuseurs français ont répercuté une partie de la chute de l'euro (voir p. 15) et baissé leurs prix de 12 à 15 % depuis dix-huit mois. Ce qui correspond à peu près au recul de chiffre d'affaires de la branche : les prix des livres ont diminué, mais les Suisses n'en ont pas acheté plus, du moins pas chez eux. En témoigne l'évolution des ventes enregistrées dans les villes françaises proches de la frontière. "L'an passé, la Haute-Savoie, la plus proche de la Suisse parmi les douze départements dont je m'occupe, a affiché une croissance des ventes deux fois supérieure à la moyenne de mon secteur", observe Jean-Paul Roméo, représentant au CDE. La Librairie de France à Gaillard, sur la frontière, réalise des ventes étonnantes en sciences humaines pour une maison de la presse. Au Virgin d'Archamps, situé dans une zone rurale à 3 km de la frontière et à 10 km de Genève, la hausse du panier moyen d'achat de la clientèle suisse a dopé l'activité en 2011.

En Suisse, ce contexte difficile ne décourage pas les vocations. Florence Bourdin Diop et son mari ont lancé Mot de passe (150 m2) à Neuchâtel en août dernier, dans un petit centre commercial, à la place d'une boutique de vêtements. Le Cerf Livres dispose aussi d'un bel espace, inauguré en novembre à Orbe, dans une boucle de la rivière du même nom, où sont installés aussi les salariés de Nespresso, le très cher café de Nestlé. Virginie Bertholet a installé Le Rez, sa librairie, ...au rez-de-chaussée de sa maison, à Châtel-Saint-Denis, au nord de Montreux. Et début 2001, Dominique Bressoud avait ouvert Une petite prose à Boudry, sur la rive nord du lac de Neuchâtel. Toutes espèrent évidemment que le résultat du référendum leur apportera un peu de sérénité, le 11 mars au soir.

09.02 2015

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