9 janvier > Essai France

Un auteur désengagé peut-il être réengagé ? La question est au cœur de l’essai de Jean-François Hamel. En 2006, cet enseignant à l’Université du Québec à Montréal s’était intéressé dans Revenances de l’histoire (Minuit) à l’art du récit fondé sur la répétition dans la littérature. Cette fois, c’est un poète qui revient et non des moindres. Il a placé son œuvre sur un piédestal stylistique, au point que l’engagement du fond se confond avec l’esthétique de la forme. Voilà pourquoi Hamel donne du « camarade » à un Stéphane Mallarmé enrôlé malgré lui dans les combats politiques d’un siècle qui n’est pas le sien.

« Le camarade Mallarmé est un indicateur privilégié des rémanences historiques et esthétiques qui ont façonné les politiques de la littérature qui se sont affrontées dans la France du XXe siècle. » Dans cette bataille des mémoires, dans cette guerre des lectures, Jean-François Hamel nous fait revivre les grands débats qui ont traversé le monde littéraire.

Desnos et les surréalistes voyaient en Mallarmé une impasse, Nizan et les communistes une langue savante, donc morte. Blanchot préférait mettre en valeur sa distinction et sa portée contestataire. Autour de ses vers, on voit s’affronter Sartre, Bataille, Paulhan, Barthes, Derrida, Sollers ou Rancière.

Contrairement à la position défendue par Les Temps modernes, Jean-François Hamel constate que ce n’est pas l’écrivain qui s’engage, mais son œuvre. Elle est la conséquence de la manière dont elle est réinvestie par les lecteurs. La lecture ajoutée à la mémoire politique provoque cet art du contretemps. Tel qu’en lui-même, le XXe siècle change Mallarmé. Son exigence poétique devient une ambition politique. Mallarmé n’est pas que le témoin de son temps. Il envisage aussi les temps futurs, sans même le savoir, parce que son œuvre est susceptible d’être relue et réinterprétée.

La vraie poésie est une résistance. D’abord à son époque. Une œuvre ancienne peut donc avoir une signification différée, anachronique, dans une sorte d’étrange dérangement des temps. Cette stratégie, Jean-François Hamel la nomme «politique de la lecture». Elle se manifeste lorsqu’on convoque un auteur pour témoigner d’une époque qui n’est pas la sienne.

La lecture n’est pas passive. Après avoir lu Mallarmé, on peut éprouver le désir de manifester. Contre quoi ? Contre qui ? C’est tout l’enjeu de cette réflexion subtile sur la lecture. Hamel nous explique comment on peut lire politiquement une œuvre. « Un texte n’existe pas sous l’espèce de l’éternité : il se métamorphose dès qu’il est donné à lire et aussi longtemps qu’il est lu. » On pourrait considérer cette approche somme toute banale, mais au vu de l’intensité des polémiques suscitées par l’œuvre de Mallarmé on se dit qu’elle est au centre d’une interrogation fondamentale des lettres françaises. L. L.

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