Le premier roman d’Irina Teodorescu, écrivaine d’origine roumaine mais qui écrit en français, auteure d’un recueil de nouvelles paru aux éditions Emue en 2011, s’ouvre sur cet incipit très mystérieux : "Ce sont des choses que je ne connais pas." Et la narration se poursuit pendant quelques lignes de façon tout aussi intrigante avant de prendre un rythme galopant qu’elle ne lâchera plus. Et qui commande une lecture d’une traite, sans pause.
Au départ, comme dans les contes puisque ce roman avec ses personnages typés, ses situations extravagantes se présente comme tel, il y a une malédiction prononcée par un "bandit moustachu", Robin des bois détrousseur de riches quelque part dans une campagne roumaine de la fin du XIXe siècle, à l’encontre de Gheorghe Marinescu, "petit-bourgeois du coin" qui l’a volé et laissé mourir de soif. La mort frappera tous les descendants mâles de la famille et ce "jusqu’à l’an 2000". Et de fait, les fils aînés meurent de toutes les manières, les uns après les autres. A peine 50 pages plus tard, on est déjà dans les années 1920 à la quatrième génération. Dès Lila, la femme de Gheorghe, "forte maîtresse de maison, croyante à l’occasion", les femmes du clan Marinescu, épouses, filles ou brus, "Maria la Cochonne", "Maria la Laide", plus tard "Ana la Belle Sorcière" ou "Margot la Vipère", subissent elles aussi les conséquences de la malédiction… Mais les hommes survivants ne sont pas en reste, se répartissant entre les propriétaires terriens distillateurs de liqueur de prune, homme politique sans morale, docteurs ou pauvres fous.
Mélangeant plusieurs niveaux de langue, le roman qui traverse à toute vitesse et mine de rien cent ans d’histoire sociale et politique collective, se charge au fur et à mesure, quand il rattrape le présent, d’un poids nouveau. C’est enlevé, original, plein de verve et de gaillardise, mais aussi vers la fin moins fabuleux, plus émouvant. Une réussite.
V. R.