Jean-Christophe Rufin a décidé d’ajouter à Check-point une postface fort intéressante, non point tant pour expliciter ce qu’il appelle joliment "une sorte de huis clos roulant" que pour l’intégrer dans le contexte géopolitique actuel : le terrorisme islamiste qui ravage le Moyen-Orient et frappe partout dans le monde. Après s’être excusé (Académie française oblige) de son titre anglais, l’écrivain-diplomate, ancien "french doctor" pionnier de l’engagement humanitaire, écrit : "Ces dernières années, cet humanitaire pacifique a cédé plusieurs fois la place à un engagement militaire. Pour secourir les populations libyennes, syriennes, ukrainiennes, la communauté internationale s’est finalement résolue à les armer."
A travers "l’équipée sauvage" de cinq personnages, des volontaires d’une petite association lyonnaise partis simplement porter secours, du moins le croient-ils au début, à 500 réfugiés croates dans les anciennes mines de charbon de Kakanj, en Bosnie, le vrai sujet du livre est ce basculement de l’humanitaire "pacifique" en humanitaire "engagé", dès la guerre des Balkans. Sauf que la communauté internationale a laissé s’entre-massacrer les différentes communautés qui, jusque-là, formaient la Yougoslavie.
Sous la direction de Lionel, donc, qui s’avérera bien peu apte à cette mission, deux camions de La Tête d’Or partent de Lyon vers la Bosnie. A leur bord, outre le "chef", Maud, une jeune paumée en révolte contre tout, sur laquelle il a des intentions séductrices, Marc et Alex, deux amis, anciens militaires au passé assez mystérieux, et, plus énigmatique encore, "le gros Vauthier ", le mécano, un type antipathique, hautain, qui se révélera être un "agent, indic, provocateur", barbouze infiltrée dans l’ONG. Et un vrai salopard. Chacun des personnages a une histoire, un passé assez lourd, qui va se dévoiler petit à petit, au fil des kilomètres dans cette nature hivernale, triste, ce "pays moche". Le roman prend des allures du Salaire de la peur lorsque la guerre se rapproche, que les Français assistent à la découverte d’un charnier de femmes et d’enfants musulmans exécutés. Sans oublier les liens qui se tendent dans le quintette : Maud et Marc tombent amoureux, Lionel en est mortifié, Vauthier se met à haïr Marc lorsqu’il apprend la vraie raison de sa participation à l’expédition. Une lutte à mort s’ensuit entre eux, avec une fin digne d’un western. Quel camp choisira Alex ?
Avec Check-point, Jean-Christophe Rufin, au meilleur de son talent de conteur, concilie le thriller psychologique avec la réflexion morale, quasi métaphysique, sur l’engagement personnel. Taraudé par cette question aussi simple que fondamentale, vieille comme le monde : la fin justifie-t-elle les moyens ? Et quid des Nations unies ? D’une violente actualité.
Jean-Claude Perrier