La photo est un art éminemment nostalgique, le temps est constitutif de son essence : pas tant le temps qui passe, le temps que la fiction essaie de restituer dans son mouvement, mais le temps qui a fui et dont la photo a capturé la trace du passage fugace. Ce qu'on voit est déjà mort. Dans le roman de Jill Eisenstadt Un été à Rockaway, Alex, Timmy, Peg et La Rouille se mettent en scène pour une séance photo de fin d'année. La Rouille a emprunté le Polaroid de sa mère, et c'est Timmy qui prend les photos. La totale : ils ont loué la limousine avec chauffeur, acheté du champagne, Peg a enfilé une robe en soie qu'elle a réussi à déchirer, Alex c'est une robe blanche quoiqu'elle redoute d'avoir ses règles... On se remémore le bal de promo, on se fout de la gueule de tous ces tocards, les répliques fusent, on se marre. L'école est finie, la vie continue, la vie comme elle va - nulle part, entre baignades, alcool, joints et sexe.
L'été, Timmy, Peg et La Rouille sont surveillants de plage, fument de la dope en regardant les vagues, torturent les mouettes pour tuer le temps. L'hiver, ils s'ennuient autrement, vivotent grâce à d'autres petits boulots. Alex, quant à elle, a décroché une bourse pour la fac, l'université des gosses de riches, elle sera loin de la glande à Rockaway. Mais tel l'enfant prodigue, elle retourne toujours vers cette bande de copains d'avant. Ils restent des copains - Timmy a même été son petit copain -, mais c'est bien « d'avant », elle en chasse l'idée mais l'idée revient. « L'idée que tout finisse par se diviser entre Avant et Après l'angoisse : Avant et Après le lycée, Timmy, le bal de promo. Pareil pour les Polaroid - le bal de promo, Avant et Après la tombée de la nuit, les ravages de l'alcool, la robe déchirée de Peg, les règles d'Alex. Comme ces clichés comparatifs de gens qui ont perdu vingt kilos mais, pour on ne sait quelle raison, portent exactement les mêmes vêtements sur les deux photos. »
Jill Eisenstadt, qui faisait partie du « Brat pack », les « jeunes premiers » des années 1980 (Ellis, McInerney), voit enfin son premier roman traduit.
Un été à Rockaway - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Hélène Cohen
Rivages
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 21 euros ; 288 p.
ISBN: 9782743647445