Après de multiples effets d’annonce, le projet de réforme de la procédure pénale, prévoyant notamment la suppression du juge d’instruction, semble se concrétiser. Les éditeurs, aux prises avec des procès en diffamation, peuvent redouter la tournure du brouillon en circulation. Le ministère de la Justice vient en effet de rendre sa copie. Il ne s’agit pour l’heure que d’un premier jet — de 220 pages et quelque 430 articles… — distribué pour concertation au sein du milieu judicaire. Comme proclamé il y a un an, le point central de la réforme demeure la suppression du juge d’instruction. A l’avenir, l’enquête sera conduite par le procureur de la République, contrôlé, en théorie, par un Juge de l’enquête et des libertés… Rappelons que le procureur est aux ordres du garde des Sceaux, et donc du pouvoir politique en place, et n’est en aucun cas un magistrat indépendant. Or, l’éditeur d’un livre litigieux, supposé diffamatoire ou injurieux, peut être cité directement devant le tribunal correctionnel. Mais il peut aussi faire l’objet d’une plainte, visant notamment à ouvrir une enquête. Celle-ci peut porter sur l’identité d’un auteur sous pseudonyme (tel ce « Cassandre » qui vient de signer un brûlot sur Nicolas Sarkozy) ou encore sur les fuites et sources dont a bénéficié l’auteur d’un ouvrage d’investigation. Là où le juge d’instruction menait son affaire à charge — et parfois à décharge —, il est en revanche certain que le procureur sera aux ordres dans tout dossier concernant un essai sur la vie privée des occupants de l’Elysée, les scandales politico-financiers, etc. Pour mémoire, la récente loi sur la protection des sources ne concerne que les journalistes professionnels exerçant dans le cadre d’une entreprise de presse. Pour toute enquête livresque, la porte est ouverte aux méthodes coercitives en tout genre (perquisitions, interrogatoires en forme d’amicale pression, etc.). La « partie pénale » (car tel sera désormais le nom que porteront ceux qui sont à l’heure actuelle « mis en examen » ou « prévenus ») n’aura qu’à bien se tenir ; et être encore plus paranoïaque que nécessaire pour tout ouvrage dérangeant. En clair, face à un tel déséquilibre des forces, mieux vaut pour l’auteur savoir enquêter sans laisser de mails ni d’appels traçables, et mieux vaut pour l’éditeur publier après avoir fait disparaître contrats confidentiels et autres indices sur l’identité de son écrivain à couvert. Passons sur les détails techniques de la réforme qui n’intéressent que les juristes (et en particulier la nouvelle terminologie) et arrêtons-nous plutôt sur une modification réconfortante : il sera possible de faire appel de la « décision de règlement » si celle-ci prévoit la transmission du dossier pour qu’il soit jugé, alors que, jusqu’ici, il n’était pas possible de faire réexaminer une « ordonnance de renvoi » en correctionnelle. Enfin, côté partie civile, celle-ci peut toujours être incarnée par un individu visé dans l’ouvrage, comme par une association. Mais, en sus, une « partie citoyenne » ayant un simple « intérêt légitime à agir » pourra occuper cette place de plaignant si personne n’a actionné contre le livre, et sous réserve que « l’infraction dénoncée ait causé un préjudice à la collectivité publique ». La fameuse judiciarisation de l’édition, que chacun évoque depuis au moins une décennie, ne fera en réalité que débuter… Le pire est pour bientôt.