"Dois-je trier mes déchets si mon double dans l'autre monde jette tout dans la même poubelle ? Dois-je acheter un titre de transport alors que mon double fraude tous les jours dans les transports en commun ?" Ces deux questions étranges sont posées par deux auteurs sérieux, publiés par les éditions du CNRS.
Leur étude aussi stupéfiante que fabuleuse concerne les "univers parallèles". Aujourd'hui, la cosmologie est en crise car elle peine à expliquer ce qu'elle voit. On est bien loin du problème posé par Woody Allen: "Si l'univers s'agrandit, alors pourquoi est-ce que je ne trouve jamais de place pour me garer ?" Désormais, d'autres questions affleurent. Pourquoi la matière a-t-elle émergé du big bang en laissant si peu d'anti-matière ? De quoi est formée cette matière noire invisible qui occupe près d'un quart de l'Univers ? Combien l'espace a-t-il de dimensions ? Pourquoi notre monde est-il tel qu'il est ?
Sur tous ces sujets, Tobias Hürter et Max Rauner ont enquêté. Ces deux journalistes scientifiques allemands sont allés fouiller dans l'histoire des sciences, de l'Antiquité à nos jours; ils ont interrogé les textes, les théories et sont allés voir quelques prix Nobel pour envisager très sérieusement la stupéfiante hypothèse émise par Hugh Everett (1930-1982), selon laquelle le monde se diviserait continuellement en mondes parallèles. "Certains collègues pensaient qu'il était très doué et beaucoup qu'il était dingue", précisent Hürter et Rauner.
Toujours est-il qu'aujourd'hui, chez les cosmologues et non des moindres, on parle de "multivers", de "mousse d'univers", de branes et d'autres concepts étranges que n'auraient pas renié un Philip K. Dick ou tout autre auteur de science-fiction ayant un peu forcé sur les hallucinogènes.
Et tout cela à cause de la mécanique quantique et de son mode de connaissance probabiliste. Pour que nous nous représentions bien le problème, Hürter et Rauner prennent un fameux exemple. Si un singe disposait d'un temps infini et tapait totalement au hasard sur les touches d'une machine à écrire, il finirait par écrire Hamlet et tout le reste de ce qui a été écrit ou qui n'a pas été encore écrit... A condition que ce singe reste devant sa machine plus de 14 milliards d'années, l'âge de l'univers ! Remplaçons les lettres par des particules élémentaires et nous voyons ainsi se mettre en place une machine à fabriquer des univers dont le nôtre...
Avec la théorie du multivers, la science quitte le terrain de la vérifiabilité expérimentale au risque de ne pas être prise au sérieux. La limite n'est plus l'horizon visible - les bords de l'univers - mais l'imagination. Autrement dit, il n'y en a plus ! Ces histoires de doubles nous font voyager (histoire des sciences, philosophie, théologie et loufoquerie) et laissent entrevoir ce qu'une telle confirmation entraînerait dans notre rapport à la réalité. À côté d'un tel bouleversement, la révolution copernicienne apparaîtrait comme un léger séisme de la pensée. En tout état de cause, voici un livre stimulant et vertigineux comme un conte de Borgès.