Que transmet-on de mère en fille ? Comment se passe ce relais tissé d'émotions cachées et de maux inavoués ? Pour Anna, le fil est d'autant plus obscur que sa mère est morte en couche. Elle-même est en train de s'éteindre au moment où s'ouvre le roman d'Hemley Boum. C'est là, qu'elle « se surprit à démêler le long et complexe écheveau de sa vie. Nous sommes tellement plus que la somme de nos composantes. » Sa voix s'impose, aussi vive qu'un passé tragique qui ne l'a jamais quitté. Descendante d'une lignée maudite, Bouissi (son prénom originel) s'inscrit dans « trois générations de filles orphelines à la naissance, la vie qui commence dans la perte et le deuil. » La veuve éternelle Awaya recueille ce bébé en espérant briser le sceau maléfique. Elle désire lui offrir un meilleur avenir. Aussi, la paysanne analphabète envoie-t-elle sa petite protégée chez les bonnes sœurs. Bouissi est rebaptisée Anna. Elle se voit en jeune fille instruite, mais son rang lui est renvoyé à la figure. Sa précarité ne l'empêche pas de cultiver un tempérament intellectuel, qui séduit Louis, un garçon engagé si convoité. Il lui ouvre les yeux sur leur terre natale, le Cameroun, présent en toile de fond. Il lui apprend que « notre pays s'était forgé sur le syndrome de Caïn. Nous nous étions construits sur le sang de nos frères. L'impunité, voilà notre plaie. »
Hemley Boum vient aussi de ce pays déchiré, qui traverse autant de turbulences que ses habitants. Après Le clan des femmes (L'Harmattan, 2010) ou Les Maquisards (La Cheminante, 2015, Grand Prix de l'Afrique noire), son nouveau roman paraît chez Gallimard. Son écriture généreuse fait preuve d'empathie à l'égard d'Anna et de sa descendance. La maternité prend enfin corps sans qu'elle soit associée à la mort. « A peine Abi était-elle née, que je sus que j'étais enfin complète », révèle l'héroïne. Mais leurs relations sont houleuses, taiseuses comme peuvent l'être les liens du sang. Abi, qui veille sur sa mère mourante, prend à son tour la parole pour revisiter son existence moderne, entre crises conjugales et familiales. La génération suivante prendra le visage d'une autre femme, nullement épargnée par les drames intimes ou politiques. Ce chœur féminin très romanesque confronte les obstacles (patriarcaux, sociétaux ou religieux) à l'amour, au courage ou à l'impossibilité de « protéger nos enfants ». Mais il préserve une fine espérance.
Les jours viennent et passent
Gallimard
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 21 euros ; 368 p.
ISBN: 9782072849152