20 OCTOBRE - ROMAN Pérou

José Maria Arguedas.- Photo ANDER BONIN/MÉTAILIÉ

Dix ans après le superbe Yawar Fiesta, et tandis que les éditions de l'Herne annoncent la parution début 2012 de Diamants et silex, Anne-Marie Métailié propose de faire découvrir un nouveau titre du maître méconnu des lettres péruviennes, José Maria Arguedas. Ecrivain, intellectuel militant du mouvement indigéniste, mort en 1969 à 58 ans, aujourd'hui encore dans l'ombre de son illustre compatriote Mario Vargas Llosa, qui lui a pourtant exprimé toute son admiration dans un essai, L'utopie archaïque, traduit chez Gallimard.

"J'ai commencé à rédiger ce roman en 1957 ; j'ai décidé de l'écrire en 1939", prévient Arguedas en exergue. El Sexto, nom de la prison du centre de Lima où se situe le récit, est inspiré de la propre expérience de l'auteur qui, en 1937, alors qu'il suivait des études de littérature tout en travaillant comme employé des postes, a été arrêté pour avoir participé à une manifestation politique et a passé huit mois dans ce lieu moyenâgeux ultra-violent.

Le narrateur, le jeune étudiant Gabriel, doit trouver sa place dans une société avec ses hiérarchies (de classe, de race, de nationalité, de préférence sexuelle), ses territoires que délimite physiquement le plan de la prison : au rez-de-chaussée, les clochards ; à l'étage au-dessus, les droits communs et les délinquants sexuels ; et au dernier étage, les prisonniers politiques, eux-mêmes divisés par des rivalités idéologiques, entre les communistes et les apristes, militants de l'Apra, une formation de centre-gauche issue de la petite bourgeoisie. Des territoires aux circulations codées où chacun peut assister à l'oppression des plus faibles par les plus forts, un spectacle ouvert à tous et sans relâche d'humiliations et d'abus de pouvoir. El Sexto est une zone en coupe réglée, où la survie s'organise autour d'un réseau complexe de protections, sous l'oeil de surveillants au mieux indifférents, au pire complices. Au royaume des caïds et des assassins qui organisent trafics et prostitution, "Estafilade", Maravi et Rosita, qui chante avec une voix de femme, sont les tyrans en chef.

Ce qui est le plus glaçant dans ce livre brutal, c'est la façon très platement descriptive dont Arguedas raconte en détail le sordide du quotidien carcéral, met en scène des situations insoutenables tout en insérant des morceaux d'exaltation verbale, de romantisme politique. Comme quand Gabriel dialogue avec Camac, son compagnon de cellule malade, vieux militant communiste. Une position de grand écart qui fait écho à la dualité, au véritable déchirement culturel autour duquel Arguedas a construit son engagement aussi littéraire que politique : la cohabitation entre la culture andine des indiens >Quechua asservis, qui a nourri son enfance à la campagne, et le monde blanc hispanophone, dominant, urbain, qu'il a ensuite rejoint comme romancier et ethnologue. Conflit de loyauté qui fait aussi la profondeur de cette oeuvre, marquée d'une violence intérieure qui rattrapera Arguedas - il mettra fin à ses jours en se tirant une balle dans la tête dans les toilettes de l'université où il enseignait.

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